Le catch le samedi matin, la 4, la 5, la 6, la grippe aviaire, les pommiers, Dorothée Magazine, le séisme de Kōbe, les petits chats sous les palettes en bois, l'arrivée d'Émilie, les confettis du carnaval, le vieux peignoir bleu délavé, le pacs, la loi de Los Angeles le matin sur la 3, l'odeur de caoutchouc brûlé du "bourrier", le Monicagate, Côte ouest, les pyjamas rouge, le protocole de Kyoto, les chimpanzés astronautes, la fête de la fraise, Jojo lapin, la plage avec Corentin J., les DVD, Concarneau, l'homme de Néandertal, le jardin public du quartier voisin, les escargots, le Docteur Maboul, René, son dictionnaire, les pains-crémés, L'instit, la course de karts, les poèmes de Maurice Carême, les cassettes d'Anne, Luna Park, le World Wide Web, le train de 15h33...

C'était quelle année déjà ? Il y a tant de choses perdues dans le passé, ou qu'il est difficile de rattacher à une année. C'était peut-être cette année-là, ou peut-être plus tôt ou bien plus tard.
Le train de 15h33 partait à 15h33. Les retards sont très rares à la SNCF par ici. Combien de TER ratés à une seconde près par des milliers de gens comme moi comme des cons sur le quai à voir le train partir ?
A l'époque où je prenais le train, durant mes études, j'avais une montre, que je ne lâchais pas du regard dans le bus vers la gare quand le timing était serré. Mais à la fin, je n'avais plus de montre.. Si j'avais encore une montre, mais le bracelet était cassé ; il m'arrivait de ne plus la sortir de ma poche, de laisser le temps passé, en pensant qu'il y aurait toujours un train dans un quart d'heure, une demi-heure, une heure ; je me souviens qu'on venait de passer à l'heure d'été... Mais ça, c'était à la fin. Et c'est avant que ça s'est passé.
Il est possible que ça ne soit pas vraiment passé, que ce soit un rêve, mais c'était bien le train de 15h33 que je devais pas rater, je courais vers la gare... Je passais sur une passerelle, une passerelle assez haute au-dessus de la place, une passerelle très étroite aussi, sans garde-fou... Et le passage était bloqué au milieu par un garçon. Je voulus passer sans le bousculer mais je m'y pris mal, je trébuchai et pour retrouver mon équilibre, je m'accrochai au garçon, et c'est lui qui perdit l'équilibre à son tour, et tomba en bas, au moins cinq mètres de chute, je le vis s'écraser sur l'asphalte, je me précipitai vers l'escalier pour le rejoindre... Rien de cassé ? Je me pris pour un médecin en l'examinant, en faisant tourner ses chevilles doucement et le rassurant : "Apparemment, il n'y a pas de fracture". Il pouvait se relever, marcher. Je lui proposai de venir chez moi, pour se remettre de ses émotions.
Un train à prendre ? Quel train ? J'habite à côté. Mais pourquoi étais-je pressé alors ? Ce devait être une autre année.
"Allonge-toi sur le canapé. Tu veux quelque chose à boire ?
- Un chocolat chaud"
Je n'ai pas de chocolat. Mais je n'hésite pas à descendre au café en bas de la rue pour satisfaire le désir de mon accidenté.
Il me faisait penser à un garçon, mais je ne parvenais pas à me souvenir vraiment de quel garçon. Un film, une émission, un moment de ma vie insaisissable comme une poignée de sable... Qu'importe : goûtons l'instant présent... Passé de la frayeur de la chute au plaisir de jouer l'infirmier... Qu'importe s'il disparaîtra, s'il n'aura fait partie que d'un instant qui va dériver avec le courant du temps...