Je visite ma grand-mère maternelle dans sa maison de retraite. Elle ne reconnaît plus son filleul adoré. Mais elle se souvient de son enfance. Ses parents s'occupaient mal d'elle. Elle raconte qu'à moins de cinq ans, elle devait s'occuper de son petit frère. Ce dernier (et dernier frère) meurt à deux ans d'une méningite.
Ma grand-mère meurt avant de m'en dire plus.
J'en sais davantage sur l'enfance de ma mère, mais peu sur sa mère, comment elle était mère par exemple.
L'enfance de ma mère est (à peu près) le décor du film "Affreux, sales et méchants". Les gens - mère, père, frères et sœur, voisins, voisines - ne sont pas aussi affreux, sales, et méchants, mais ce n'est pas non plus "La petite maison dans la prairie". Un entre-deux des oubliés des trente glorieuses dans une petite ville de province française.
Ma grand-mère ne travaille pas. Je crois qu'elle boit un peu, mais moins que mon grand-père... Ma mère n'est pas très causante sur son enfance. Surtout des anecdotes : les rats musqués qui entrent dans sa chambre de bébé, le beurre que sa mère planque sous son lit, la télé qu'on va voir le soir chez le voisin, le père qui arbitre les matchs locaux de football, un grand frère qui tire sur les oiseaux avec son fusil à plomb (celui-ci ou un autre ira en maison de correction aux Sables d'Olonne)...
Une grande inconnue durant mon enfance : la sœur de ma mère. Elle habite à vingt-cinq kilomètres mais nous ne la voyons jamais. Elle se serait disputée avec le reste de la famille parce qu'elle ne voulait pas de cérémonie religieuse pour la mort de mon grand-père (j"avais un an). Et puis, dit souvent ma mère, "on n'est pas "proches, elle a dix ans de plus", (à 16 ans, sa sœur quitte la pseudo-maison placée comme bonne dans une bonne maison)...
La sœur sort de l'album photo vingt ans plus tard, vingt ans trop tard pour être ma tata, vingt kilos en plus (il parait qu'elle boit (elle aussi), de la bière surtout). Mes parents l'aident pour le déménagement de sa fille, Sonia, je rencontre celle-ci pour la première fois également. Ma tante a eu également un fils, avec son compagnon (ils ne se sont jamais mariés), je n'ai jamais vu ni le père ni le fils, même en photo.
Au fil du temps, ma mère lâche quelques bribes d'informations sur son aînée. Avec un étrange détachement malgré la gravité derrière ces informations. Sa soeur aurait été brièvement "internée" quand elle était jeune, aurait subi des séances d'électrochoc. Autrefois, on disait "maniaco-dépressif", maintenant on dit "troubles bipolaires". Aujourd'hui, elle est en résidence médicalisée pour personnes âgées. "Elle ne nous reconnait pas", rapporte ma mère qui lui a rendu visite avec son frère, "elle crie beaucoup disent les infirmières". Elle perd la tête, dit ma mère, confondant (volontairement ?) la sénélité et la maladie mentale dont souffre sa soeur depuis son jeune âge...
Une maladie qui n'est pas étrangère dans la famille : les rares fois où ma mère parle de la mère de sa mère, c'est pour décrire une femmme complètement folle. Et encore là-dessus l'alcool qui coule à flots.
Ma grand-mère m'a toujours paru équilibrée mentalement malgré un petit goût pour la gnôle. Les troubles bipolaires sont héréditaires. Mais le mauvais gêne peut sauter une génération ou être attribué aléatoirement dans une fratrie... Ma mère non plus n'a jamais eu de problème... Mais moi ? Ai-je échappé au mauvais gène ?
Je n'ai jamais consulté un psy. J'ai des hauts et des bas comme tout le monde... Parfois je déprime, mais ce n'est pas la dépression. Parfois je suis renfermé, mais ce n'est pas de l'autisme. Parfois je vois des choses qui n'existe pas, mais ce ne sont pas des hallucinations. Parfois je mange peu mais ce n'est pas de l'anorexie. Mes petites obsessions ne me possèdent pas, et mon habituelle anxiété est comme une petite musique de fond dans ma tête.
L'autre jour, je fais ce rêve-cauchemar. Je suis chez mes parents. En pleine nuit, je fais une crise de somnambulisme. Je me lève, crie dans la maison, casse une porte. Mes parents me regardent effrayés. Leur peur que je sois "bon pour l'asile".... En réalité, se sont-ils inquiétés quand leurs enfants ont grandi, ont-ils eu peur que l'un d'eux tourne mal mentalement ? Je ne sais pas vraiment, ce n'est pas comme une particularité physique (pikoù panez, oreille de chou, cheveux frisés) dont on discute en feuilletant un album photo. On n'en parle pas, et on n'écarte, on s'écarte des "drôles" (et moins drôles). L'absence de ma tante durant mon enfance ne s'explique pas seulement par un différend religieux : il fallait mieux l'éloigner des enfants...