Malo balance son cul
dans la cité les exciter
jamais la honte à ses joues ne monte
dans les allées à l'aise laisser aller
sous sa frange peroxydée
les regards des gars agacés
sous les bâtiments, tout le monde ment
vend son âme au plus offrant
fauché fauchant du blé à plus fauché
ou donnant-donnant, ou donneur donné
don de soi ou plaisir de recevoir
qu'importe, qui sait comment ça marche
cette vie, c'est si long, toujours les mêmes saisons
alors Malo a bien raison dans son blouson
de se moquer des coqs et leurs quolibets
personne ne sait...
lui-même sait-il ce qu'il vit.... ?

il l'a rencontré sur un réseau X, ou Y. un homme au hasard. pourquoi pas ?
la drague sur les réseaux ne s'embarrasse pas de fleurs, sourires, poèmes, restaurant, cinéma...
tous les soirs, l'homme l'appelait. au début, la sonnerie le faisait bander net comme chien pavlovien. c'était l'heure d'être à lui. d'être soi ? un peu.
il ne disait rien, il préférait l'entendre lui susurrer des mots : douces injures, ordres intimes, félicitations sincères.
il répondait par des gémisssements en guise d'acquiescements, soupirs dans le micro, smileys envoyés, mais aucun recours au langage, oral ou écrit.

et puis, il a commencé à ne plus aimer ce rendez-vous du soir. chaque jour, il se disait : "ce soir, je ne répondrai pas". mais il répondait chaque soir. il ne pouvait pas résister, s'en passer. il était coincé dans une boucle infinie : plaisir, regret, dégoût, renoncement, frustration, tentation, obéissance, plaisir... tout finissait par se mélanger dans son esprit et sous ses mains, les caresses et les coups. comment s'en sortir ?
tous les jours il donne le change, il va en cours, côtoie du monde, sa famille, il est exactement ce qu'on attend de lui, souriant, aimable, serviable, pour ainsi dire normal... mais derrière le masque, il souffre...
pour se relaxer avant l'appel du soir, il fume un joint.
pour se relaxer après l'appel du soir, il fume un joint.
addiction contre/pour une autre addiction.
il aimerait disparaître, mais peut-on encore disparaître ?
dans son walkman, il rembobine sa cassette.
les smartphones n'ont jamais été inventés.
y'a pas de réseaux, à part les réseaux de neurones, les réseaux routiers...
il balance son cul dans les sentiers du parc...
qui va le chasser, qui va le tuer ?
des vieux promènent des chiens
qui chient sur les capotes de la veille
sous les arbres, tout le monde ment
prend les poses des stars des magazines
se fait un feuilleton, tourne la route de l'infortune
dans le micro argenté, les chanteurs livrent leur désespoir
toutes les chanteuses s'appellent Christine, Corinne, Véronique, Vanessa
allo réseau ? Que cherches-tu ? nom de code Valentine
comment t'appelles-tu ? le grand méchant loup ?
rattrapé par le présent,
toute la maison tremble lorsque son smartphone vibre
"salut, ça va ?
Malo, comme d'habitude, répond juste "ça va." (et ensuite, comme d'habitude, il le laissera parler)
personne ne veut une vraie réponse à cette question.
mais ce soir, il veut parler.
s'il ne le fait pas, il ne va pas tenir.
"j'aimerais te dire quelque chose."
l'autre est étonné, c'est la première fois qu'il entend sa voix prononcer autre chose que des mono-syllabes.
"je ne sais pas vraiment comment le dire, mais il faut que je le dise
j'aime bien être désiré. j'aime bien que tu me désires. j'aime bien t'exciter, j'y trouve du plaisir."
il fait une pause, reprend sa respiration.
"je sais qu'on ne sera jamais "ensemble", on vit loin de l'autre et de toute façon, ce n'est pas cela qu'on recherche.
je sais que ce n'est pas de l'amour.
je n'ai jamais été amoureux".
"vraiment ?" dit l'autre.
"oui. j'aimerais bien mais il semble qu'il n'y ait pas de moyen de provoquer l'amour, j'ai du mal à croire ces histoires de coup de foudre, d'âmes-soeurs, alter-ego...
pourtant je suis un garçon hypersensible. je pleure même devant les séries les plus claquées.
je me perds un peu dans ce que je voulais dire.
entre nous, ce n'est pas sérieux, ce n'est pas de l'amour, mais je pense que tu le savais déjà.
mais j'aime notre relation.
tu réponds à un besoin.
je ne sais pas si c'est bien de répondre juste à ce besoin. ce besoin, tu vois ce que je veux dire...
mais voilà il faut que je te le dise, j'aimerais arrêter.
au moins quelques semaines.
parce que ce besoin m'étouffe.
ce n'est pas de ta faute.
je voudrais... non, il faut que je dise "je veux", je veux arrêter... mais je n'y arrive pas. alors, je te le demande simplement comme ça, est-que tu pourrais arrêter de m'appeler ?"
l'autre encaisse la demande. "ok, si tu ne le sens plus..."
"j'ai besoin d'air, tu comprends. j'ai besoin que ce ne soit plus "systématique". j'ai besoin de me déconnecter de ce truc entre nous, de me déconnecter de ce réseau. j'ai déjà supprimé l'appli, je l'ai ré-installé quelques heures plus tard...
je ne te promets pas de te rappeler. peut-être que c'est mieux de tout arrêter."
l'autre qui n'avait jamais vraiment exprimé ce qu'il ressentait répond : "je comprends. ce truc entre nous ne pouvait durer éternellement. ce n'est pas grave. peut-être qu'on se retrouvera ailleurs, ou dans une autre vie.
je traverse des moments difficiles dans ma vie en ce moment. mais avec toi, je ne fais que fuir les problèmes sans les affronter.
je ne t'appellerai plus je te promets.
mais envoie moi de temps en temps un petit message, si tu veux bien.
- oui. merci. tu es quelqu'un de bien je le sais. est-ce que ça te va si on en reste là ce soir ?"
il dit ça comme si ils allaient se retrouver le lendemain. parce qu'il ne faut jamais dire adieu.
l'autre : "oui. bisous bonne soirée."

après avoir raccroché sur un "au revoir", Malo s'effrondre en larmes, larmes de soulagement.
et puis les sanglots s'espacent dans sa respiration.
il repasse sans sa tête le fil de la conversation,
les mots se mélangent, il n'est pas sûr d'avoir été clair
l'angoisse remonte, il a envie de se giffler.
mais le lendemain, pas d'appel.
le jour suivant, pas d'appel.
que faire maintenant de ses mains, de sa voix, de son corps ?
dans les allées de la cité à l'aise laisser aller
sa liberté de mouvement, liberté d'émotion
il va quitter la cité, y revenir, repartir
il va disparaître des dizaines de fois pour des centaines de personnes
on se demandera "où est-il donc ?" puis on l'oubliera
un jour, il dira : "je suis bien ici, et je t'aime"
mais pas "aujourd'hui". un jour, un jour...