Les militaires, armés jusqu'aux dents, barraient la rue. Derrière eux, c'est la guerre, encore.
Pas loin, un drapeau tricolore monté le long d'un mât devant un bâtiment public. Larme surprise devant ce levée des couleurs.

Plus loin, dans le centre commercial, ils sont tous bouche bée. La fascination des visions en 3D sur le grand écran, petits et grands, il y a même un chien langue pendue, hypnotisé lui aussi. Mon indifférence totale gêne, je m'écarte, après avoir, malgré moi, caressé la tête du chien.

Le soir dans la rue tu n'es pas toujours tranquille lorsque tu entends derrière toi les pas d'un inconnu. Ici, ils sont deux. Je ralentis le pas pour les laisser me dépasser.
L'un d'eux se retourne vers moi. Sous la lumière des lampadaires de la venelle, il esquisse un pas de danse. Un drôle de zigoto celui-là on dirait. Des boucles brunes qui tombent sur le joues, des frusques noires déchirées par endroits, ce petit air coquin qui en dit long, une main qui m'invite à le rejoindre. Je ne sais pas danser mais j'oublie mon incompétence, attiré par lui comme limaille par l'aimant. Devant l'autre garçon, nous dansons quelques secondes, sans nous toucher. Puis nous nous séparons. Je ne trouve pas les mots pour le retenir, il se contente d'un clin d’œil.

Quelques minutes plus tard, je les retrouve dans un café. Ils sont assis à une table devant un ordinateur portable où ils consultent un site de rencontres. "Celui-ci, il est pas mal, t'en penses quoi ?" Mon partenaire de danse ne répond pas avec des mots mais avec des gestes, des signes. Il est muet.
J'aimerais connaître sa langue pour communiquer avec lui. J'ai toujours été intrigué, parfois ému, par les (sourds-)muets. Je n'aime pas parler, cela me demande un effort mental et physique pour articuler les mots. J'envie la langue des signes, une langue aérienne, élégante, et certainement plus précise que nos jacassements.
Comment dit-on 'je t'aime' ? Je crois l'avoir su. Je me lance. Je lui tapote l'épaule, puis je passe mon index sur ma joue. Je ne sais pas ce que je lui ai vraiment dit, mais il comprend mon geste, il se lève et me prend la main. Cela veut dire : "partons ensemble, passons la nuit ensemble, vivons ensemble"... Je m'emballe, oui, mais je n'y peux rien, j'y crois chaque fois.