Pour faire plaisir à ma mère, j'accepte de passer les fêtes de fin d'année à Alger. Je rencontre mon demi petit frère. "Tu ne trouves pas qu'il te ressemble ?", me demande ma mère. Oui, en effet, il me ressemble, et il ressemble aussi à mon père étrangement.
Mon beau-père passe en coups de vent. C'est un homme très nerveux, un homme pressé dans les mauvais sens du terme. A table, il parle tout le temps des affaires qu'il gère, je ne comprends rien, c'est plein de sigles et de noms de gens que je ne connais pas.
J'étouffe dans le grand appartement, alors je fais du tourisme pour prendre l'air, je promène mon demi-frère, dans les rues, on se perd, on s'assoit par terre en attendant qu'un taxi s'arrête.
Je reprends l'avion le 2 janvier. Le lendemain, je suis au lycée, je ne raconte mes vacances à personne.

Quand j'ai eu 18 ans, ma mère m'a rappelé. Elle voulait me parler de mes études, et elle proposait de m'aider à payer une bonne école. Mais c'était donnant-donnant : je devais servir de prête-nom pour une série d'acquisitions immobilières en France. J'ai accepté. Clément voulait faire une école de cinéma à Paris, et partir de loin de moi, je n'avais pas les moyens de le suivre.

L'argent traverse les frontières par différents tuyaux , mon nom sur des papiers auxquels je ne pige rien, quelques miettes me reviennent, mais je vis bien, un petit appartement que je partage avec Clément. Quelques mois, avant qu'il ne disparaisse à la fin de la première année.
Je l'ai senti s'éloigner peu à peu, pas seulement de moi, de la vie en général. Même la beu ne l'intéressait plus vraiment, et ne justifiait plus ses absences en cours, et ses absences en général. Un jour, ses affaires avaient disparu de sa chambre.

Je me retrouvais seul. Le départ de Clément coïncide avec le début d'une période étrange pour moi : l'impression de vivre comme un fugitif, comme un sans-papiers ou un évadé, traqué en permanence. Un homme avait en effet décidé de "ne pas me lâcher", comme il disait, jusqu'à ce que je craque. Ce n'était ni un juge, ni un policier. C'était un journaliste algérien, demandeur d'asile je crois, il tenait un blog dont les articles ciblant des personnalités corrompues de son pays lui avaient valu de sérieux ennuis, la prison, l'exil ensuite.
En France, il poursuivait ses enquêtes sur les investissements des hommes politiques algériens. Il était arrivé je ne sais comment à faire le lien entre mon beau-père et moi, il avait retrouvé mon nom ici et là, puis trouvé mon adresse. Je le retrouvais tous les soirs au pied de mon immeuble lorsque je rentrais des cours. Je ne pouvais rien lui dire, mais il insistait. Comment je payais mon loyer ? Est-ce que je travaillais ? Est-ce que j'allais parfois en Algérie ? Est-ce que je m'entendais bien avec mon beau-père ? Je contactai ma mère pour obtenir de l'aide. Elle me dit de ne pas m'inquiéter, qu'il se fatiguerait vite. Mais l'homme continuait à m'attendre le soir, à me suivre dans la rue. Son obstination allait au delà de son travail, il prenait un plaisir certain à me harceler.
Obligé de quitté mon appartement, je trouve refuge chez un ami de mon père, qui s'occupe d'une entreprise d'hivernage. Il me laisse dormir dans une caravane...