Ils marchent dans la rue comme des mannequins sur des podiums, livides et rapides. Ils portent tous des chapeaux curieux, des hauts de forme fantaisistes, des colifichets accrochés avec des petites épingles à nourrice. Un sur deux porte un masque de carnaval, une mode venue d'un film récemment à l'affiche. Un sur deux porte des bottes en caoutchouc, une mode venu d'on ne sait où. Certains ont des enfants dans les pattes, d'autres sont suivis par des petits robots et il y a encore quelques chiens qui déposent une crotte dans le caniveau. Le soir tombe sur les épaules des passants. Des oiseaux planent, des colonies de rats sortent prendre l'air. Un message arrive dans ma tête : "Arrivé à bon port STOP Espère te revoir STOP Bises STOP Ton ami STOP" Je réponds avec mon plus beau smiley. Je récolte un like. Le paysage change : averse de grêle, tout le monde devient frêle, des chapeaux tombent, des androïdes perdent l'équilibre. Un peu plus tard, je me reconnecte au flux d'actualités, même si le sort du monde ne m'intéresse plus vraiment beaucoup. Des gens se battent quelque part pour quelque chose, je sais, mais ça ne changera rien à la fin de l'histoire. Un monarque tombe, un autre est placé sur l'échiquier. Des millions de déplacés cherchent une place sur la planète, la chance vient à manquer. Mais tout est réduit à des petits problèmes, des petites envies, des petites ambitions et des petites douleurs, représentées par des petites images. Le temps se distend quand la terre tremble de temps en temps, un visage ancien apparaît sur celui d'un passant impudiquement découvert. Quelque part, il dit encore que les arbres étaient là avant nous, il fait des rêves prémonitoires, il ne comprend pas des blagues, le second degré, il tombe tous les jours amoureux, et en même temps il rentre dans les rangs serrés des apprentis sorciers, il invente un remède ou une maladie. Tout va bien pour lui, j'en suis sûr. La nuit tombe sur la ville, l'écrase malgré le jeu des lumières. Je ne sais plus où est la lune à l'heure où les SDF se fixent sous un porche et les taudis se remplissent.
Parfois, j'attends juste la fin du monde. C'est triste, elle ne vient pas ce soir. Le fragile équilibre des puissances atomiques et des peuples opprimés tient bon malgré tout, les chaos se transforment toujours en compromis, personne ne veut que ça ne change... Il y a juste au fond de soi ce vertige chronique. Comme ce cauchemar récurrent : descendre un escalier bien raide sans rambarde. La peur est irrationnelle, tout ira bien, tu ne vas pas t'envoler, ou t'écraser et disparaître comme le vol MH370 dans les abîmes de l'Océan Indien. Tout ira bien : une nuit l'escalier devient un escalator, tu peux te détendre, t'asseoir sur une marche et attendre d'atteindre doucement le sol, et te rendormir.