Les miroirs, en pierre ou métal polis, datent de l'antiquité. Il y a eu ensuite les miroirs en verre, puis, récemment, des nouveaux miroirs. Des miroirs de poche électroniques, certains très chers et très sophistiqués, qui servent aussi à téléphoner, communiquer, jouer, mais leur fonction principale est bien de voir son propre image, avec ou sans filtre, chercher son meilleur profil, éclairée par la meilleure lumière dans le meilleur décor, et renvoyer son reflet parfait au monde entier. Je n'aime pas trop ces nouveaux jeux de miroir, et j'utilise peu la caméra frontale de mon smartphone... mais un jour, celui-ci a buggé, l'appareil photo ne pouvait plus être dirigé vers l'avant, je ne pouvais plus faire que des selfies. Bien sûr, je pouvais retourner l'appareil mais prendre des photos à l'aveugle, faute d'objectif, était assez pénible. Alors j'ai du prendre goût aux auto-portraits, même si je n'aimais pas vraiment ça...
Un jour, en lançant l'appareil photo, mon visage reflété se brouille sur l'écran, j'essaye de zoomer mais en écartant deux doigts, une lumière éclatante s'échappe de l'écran et m'aveugle...
Un chaleur enveloppe mon corps, je me sens transporté ailleurs... De l'autre côté du miroir ? Je tâtonne dans le noir, puis d'un coup, le noir est remplacé par une autre couleur, une couleur absente du spectre que nous connaissons, une nouvelle couleur magnifique.
Alors que je marche les bras en avant comme un somnambule, je sens que je marche sur mes mains, comme je sens le sang descendre vers la tête. C'est désagréable. Je peux juste me coucher pour soulager les maux de tête. La couleur m'apaise, je peux presque la toucher, la sentir, l'entendre... Il n'y a plus qu'elle et moi... Cette sensation d'avoir déjà vécu une chose similaire, était-ce dans le ventre de ma mère ?
Et puis, la couleur s'éclaircit, ou s'assombrit, je ne sais pas vraiment, elle change dans un sens ou dans un autre.
Je survole la terre, vue aérienne sur un territoire familier, le territoire de mon enfance, une vue changeante, les immeubles, les maisons disparaissent les unes après les autres, laissant place à des champs, des bois, des marécages... Le sol se rapproche, j'atterris dans un petit étang, les grenouilles croassent autour de moi.
Je suis le dernier être humain sur une Terre abandonnée. De l'autre côté du miroir, il n'y a plus que moi. Des Hommes, il ne reste que quelques traces archéologiques, les derniers déchets qui ne se sont pas encore décomposés. La terre est redevenue habitable, l'air respirable. Plus besoin de scaphandres. L'eau n'est plus polluée, les batraciens peuvent barboter en toute tranquillité. Je me sèche au soleil en marchant dans un champ en friches agité par les galipettes des lapins. Comme un trait tracé sur le paysage, un câble en acier relie la terre au ciel, un buisson à un nuage. Que peut-il y avoir au bout ?