Enfermer chez moi, je passe par tous les états.
Il y a longtemps, un autre moi se plaisait à une vie purement casanière.
Une vie près du lavabo, de la gazinière et du frigidaire peut avoir les côtés agréables d'une vie de riens.
Mais tout est une question de choix. J'aimerais bien aller nulle part en ayant la possibilité d'aller partout.
Pour la première fois, je parle à ma voisine : trois mots échangés. "Bonsoir ? - ça va ?" Il y a tout dans ce ça va de la voisine : "ça va le confinement, vous le vivez bien, ce n'est pas trop dur ?"
Le télé-travail occupe une grande partie de la journée, empiète sur les soirées.
Je tourne en rond dans l'appartement, un thé, un pipi, un biscuit, la playlist dans le casque entre deux télé-conférences...
Une fois par jour, le trop plein de cette vie de riens déborde et me noie. Je manque d'air et de soleil sur le balcon.
Et petit à petit, je perds l'appétit. C'est inquiétant.
Et puis, il y a ces moments d'euphorie le soir après vingt-heures.
Quand il n'y a plus personne dans les rues, la ville est à moi. Je cours une heure, ou je fais du roller. A part les motocyclettes des livreurs à domicile, quelques chats, de rares fantômes et dans le ciel, les mouettes qui tournent en criant. Il n'y a pas forcément plus de monde dans les rues en temps normal mais il y a surtout beaucoup moins de voitures et surtout une atmosphère différente. Aux limites et en dehors de la zone réglementaire de confinement (un kilomètre à la ronde), je me sens comme un hors-la-loi, et j'aime un peu ça. Mais le sentiment de liberté en courant au milieu de la chaussée est plus fort. J'ai toujours aimé cette période de l'année quand le changement d'heure repousse la nuit.
Il est certain que mon état d'esprit serait différent si la pandémie avait touché ma ville. Notre CHU accueille les malades des autres régions. Nous sommes ici des privilégiés : nous sommes protégés avec le confinement d'un danger très réduit.
(Ma profession m'amène à me déplacer à travers la France, et mes collègues en font autant. Le confinement est donc nécessaire dans notre cas.)
Je me suis coupé les cheveux tout seul.
C'est une expérience comme une autre. Mais une des très rares expériences collectives des temps modernes. Nous vivons tous la même chose au même moment. Chacun différemment.
L'autre jour, le service drive de mon supermarché s'est trompé dans ma commande. Arrivé à la maison, j'ai trouvé dans mes sacs de course trois packs de yaourt, deux kilos de pomme, un pot de crème, de la charcuterie (beurk), deux artichauts, un céleri, de la mozarella bon marché. Le supermarché m'a dit de tout garder sans payer (ils ne reprennent pas les produits frais). Depuis, je mange les provisions de quelqu'un d'autre. Comme si je dormais dans son lit.
Je me dis que je vais changer après. Sortir le soir, rencontrer des gens, voyager dans des pays étrangers... Je me dis que je vais même changer complètement de vie. Comme un déclic. Mais je ne ferai pas grand chose de ces résolutions. J'aime bien mon chez moi. J'aime bien rentrer chez moi. C'est cela qui me manque : retrouver mes chaussons après une bonne journée de travail au bureau.