Avant-hier, j'ai retrouvé quelques instants cette fièvre au réveil quand on cherche à retenir le dernier rêve inachevé en griffonnant en toute hâte sur le premier papier trouvé des bribes de ces moment qu'on a cru vivre... C'était quelle année déjà ? Vrai fièvre et fièvre amoureuse... Le même garçon des années encore (pour ne pas dire plus tard).
Il a la mémoire des jours et des nuits éveillé, et la mémoire des rêves. Ces deux mémoires ne sont pas cloisonnées. Il se pourrait même qu'on en vienne à confondre le réel et le rêvé... Le réel n'a-t-il pas souvent des allures de rêve ? Et inversement. Des lieux qui n'existent pas. Des instants qui nous échappent. Des histoires invraisemblables. Des images qui disparaissent aussitôt vues. Des impressions de déjà vu.

Je ramassais dans la cour de récré de mon école primaire les mouchoirs en tissus perdus par les autres enfants, les mouchoirs propres uniquement, encore pliés en quatre. Je ne sais plus ce que j'en faisais, si je les ramenais à la maison...

Mes souvenirs d'enfant sont fractionnés par les années scolaires qui ont chacune une couleur particulière, un maître ou une maîtresse, des copains, pas de copains... J'ai fréquenté une seule école, et je n'ai jamais déménagé. Pourtant, je n'ai pas connu un seul chemin pour aller à l'école.
Mon père commençait à 8 heures, l'école débutait à 9 heures. Ma mère n'avait pas le permis de conduire. Nous avons souvent fait le chemin de l'école à pied. Descente jusqu'au cimetière, puis vers la gare... Puis, il y a eu cette voisine qui avait deux garçons dans la même école et venait chercher mon grand-frère et moi le matin (ma grande sœur était alors au collège, je peux donc situer à peu près la période). La voisine ne prenait pas la même route que nous prenions à pied... Quand elle a déménagé, nous sommes repartis à pied, sauf quand une copine de ma mère venait nous prendre.
Pour le retour, c'était la même chose, à pied ou du dépannage par une copine... Il y a eu cette période que je situe vaguement entre le CE2 et le CM2 où je rentrais avec ma mère, mon petit frère en maternelle (et mon grand frère encore en primaire ?) par un autre chemin que la ligne droite de la gare à la maison. Nous longions la voie ferrée puis nous traversions le cimetière. Je ne crois pas que ce chemin était plus court mais nous accompagnions d'autres parents et enfants qui habitaient sur ce chemin. Je crois bien qu'il y avait ma tante et deux ou trois cousins, cousines. Puis ma mère a eu son permis (CM1 ou CM2 ?).

Sur le chemin de l'école quand j'étais seul, ou dans la cour quand j'étais seul, je ne sais plus quand j'ai commencé à me raconter des histoires à moi-même. Je ne sais pas si les autres enfants faisaient de même, je veux dire sans jouets pour représenter des personnages ou des choses. Je découvrais les pouvoirs de l'imagination intime qui pouvait reproduire les schémas narratifs de la télévision ou du cinéma. A une époque, je crois que je me racontais chaque jour un nouvel épisode d'un feuilleton. J'adorais les sagas de l'été. Plus tard, j'avais toujours un scénario en tête. Étrangement, je n'avais jamais d'inspiration pour les rédactions... Et lorsque j'ai commencé à avoir quelques ambitions d'écriture, ce n'était pas fameux... Raconter mes rêves est plus facile : il n'y a rien à imaginer, ni les personnages, ni les situations, ni les noms, ni les lieux, ni les paroles, ni la musique : tout est là, tout chaud, brûlant.

Je me souviens d'un moment précis dans mon adolescence où le réel, et la dureté du réel, m'a vraiment saisi. Il y avait une guerre quelque part, et nous étions six milliards de spectateurs. Et puis, j'ai arrêté de regarder le 20 h, mais j'ai continué à découper dans les journaux les malheurs du monde. Je remplissais des chemises cartonnées, des classeurs, des cartons dans ma chambre, sans chercher à comprendre ou m'émouvoir... Et puis, le bruit du monde est devenu juste un bruit en arrière plan, celui qu'on essaye d'effacer... qui devient agaçant... Dans le début des années 2000, le réchauffement climatique était le thème à la mode, et je n'y prêtais guère attention... comme beaucoup de monde. Et puis le danger prophétisé hier est devenu une réalité entre une année froide et une année chaude, l'air de rien, cette année, ou l'année dernière, ou l'année précédente, on ne sait pas trop, le point d'irréversibilité a été dépassé...

Un soir d'été, il était tard, j'étais à ma fenêtre, je regardais le ciel étoilé intensément. Je voyais des points lumineux bouger. Des bruits accompagnaient ma contemplation, des bruits de voiture au loin, de trains très loin, des bourdonnements de machines venant des zones industrielles. Soudain j'ai vu passer une lumière lentement dans le ciel. C'était probablement un avion. Mais je crus voir un objet extraterrestre traverser la nuit. J'ai rarement ressenti une telle émotion de sérénité face au merveilleux et à l'extraordinaire qui était possible ce soir-là, à ce moment précis, à cet endroit précis de l'univers.