"Alors c'est l'histoire d'une chauve-souris qui rencontre un éléphant...
- Qu'est-ce que tu fais encore ?
- Merde, tu vois pas que je tourne une vidéo... Comment on recommence ?
- Tu crois vraiment que c'est la solution Bruno.
- Quelle solution ? De quoi tu parles ?
- Et puis je trouve ça malsain. C'est pour les gosses cette application ?
- Mais alors pas du tout. Il y a des gens de tous les âges. Bon, laisse moi, je termine mon truc.

"Jimmy, ça fait deux heures que j'attends. Je te préviens, si tu ramènes pas ton cul ici tout de suite, t'es viré, je ne veux plus te voir". Il fait chier ce petit con. Tends la main tiens ! Comme s'il n'avait pas assez d'ennuis comme ça. Les clients qui ne payent pas et les fournisseurs qui tapent à la porte...

"Comment va ma filleule ? demande son frère par téléphone
- Je devais aller la voir, mais je n'ai pas le temps.
- C'est dingue cette excuse "je n'ai pas le temps". Du temps, tu en trouves toujours, même pour des trucs à la con... De toute façon, elle ne me parle plus... Je crois qu'elle va mal.
- Comment ça ?
- Je la regarde sur un réseau social. Mais sans être abonné à son compte, tu vois...
- Oui je vois, je surveille mes ex comme ça.
- Tu ne la reconnaîtrais pas si tu repassais dans la région. Elle est toute maigre et toute pâle. Louna maquille tout ça avec des filtres et les artifices de ces applications... Je ne sais pas quoi faire Julien... Où est passé la petite fille amoureuse de son papa ?

A quarante ans à peine, tu te retrouves face à ce mur immense, ta petite fille qui a grandi trop vite et ne te sourit plus. Tu ne peux pas dire "sa mère l'a montée contre moi". Parce que tu sais quelle est ta faute. Avoir quitté femme et enfant pour ta jeune maîtresse. T'es un salaud et c'est lourd comme une montagne de pierres sur ton dos.

Alors il y a Jimmy, le petit apprenti que tu essayes d'aider. Parce que c'est plus simple de parler à un enfant qui n'est pas le tien et qui te ressemble vingt ans plus tôt. Combien de fois l'a-t-il sorti du lit pour l'amener bosser sur un chantier ?

Le soir, après quelques bières, il envoie ces bouteilles à la mer, petites blagues sur le vaste réseau qui n'atteindront probablement pas Louna. "Quel bouffon !" penserait-elle si elle tombait sur lui. Mais au moins établirait-il un contact avec elle.

Il n'a pas refait sa vie avec Clémence. Il l'a continué bien ou mal, dans un trois pièces face à la mer, cravachant dix à quinze heures par jour pour des vacances au bord d'une autre mer.

Mais il a en lui cette énergie de vivre qui se ne tarit pas, malgré les courants contraires. Les impôts n'auront pas sa peau. Jimmy ne lâchera pas sa formation. Louna lui reparlera...

Il l'attend à la sortie du collège. Quand elle sort, il l'attrape par le bras. Elle crie. Il ne passera pas pour un pervers. "Je suis ton père bordel !". Il la force à monter dans la voiture. Oui, ça se passera comme ça. Et lui dire : "Tu crois quoi, que la vie est écrite à l'avance ? Et tu crois qu'on fait des choix facilement ? Combien de fois ai-je regretté d'avoir quitté ta mère ? Mais je ne t'ai pas quittée toi. Toi, tu seras toujours ma fille"... Ou "je serai toujours ton père, malgré toutes les conneries que je peux faire, je t'aimerais toujours." Mais, dira-t-elle : "A-t-on le droit d'aimer quoi qu'il arrive ? C'est trop facile."

"Louna, tu aimeras, tu trahiras, tu seras trahi, tu oublieras, tu pardonneras. Il n'y a pas les bons et les méchants. On a toujours le droit à l'erreur. Sinon, c'est la fin, tout le monde a peur, plus personne ne veut aimer et c'est la guerre à perpétuité."