A G.B.

J'arrive toujours par les yeux. Dans le miroir, je reviens le voir quand il ne s'y attend pas. Sa surprise m'amuse, puis, quand il comprend, il sourit, et je souris. Il se demande : "Est-ce bien lui dans le miroir ou suis-je en train de rêver ?" Je suis bien là de l'autre côté du miroir : il ne rêve pas, c'est moi qui rêve. Il n'y a rien à comprendre d'autre. Ou si... Il faut savoir que j'ai voyagé aussi dans le temps, mais je ne sais pas trop quelle année est-ce ? Quel âge a-t-il ? Difficile à dire.
Lui dire : je suis là, j'étais là, même si tu ne me voyais pas.
Les efforts pour ne pas se souvenir, difficile d'oublier. C'est écrit à jamais, futile ou non.
Je traverse le miroir, je glisse dans son monde, son époque, son histoire d'alors, son odeur, sa joie ou sa tristesse... Connaît-on vraiment les autres ?
Il me reconnaît. Il me demande comment je m'appelle déjà, parce qu'il doute de sa mémoire.
"Le 9 novembre 2006 à 16h35, je t'ai touché des yeux dans le reflet d'une vitre de train. Tu ne m'as pas reconnu ce jour-là, je t'en ai un peu voulu.
- Le 9 novembre 2006 à 16h35, je ne sais pas où j'étais.
- Tu étais monté dans le train avec ton vélo.
- C'est possible. C'était ma première année à la fac.
- Moi, ma quatrième. Tu avais pris au kiosque à journaux "Courrier international", tu avais parcouru le journal mais tu n'avais pas acheté le journal.
- Je tenais mon vélo ?
- Non, tu l'avais laissé à côté du kiosque.
- Tu m'as reconnu mais tu n'es pas venu me voir.
- Est-ce qu'il faut toujours venir voir les gens ? Est-ce qu'il faut toujours déranger les gens ?
- Et maintenant, tu viens me "déranger" ? Je n'ai aucune importance pour toi. Tu me connais à peine.
- Aucune importance, c'est vrai. Quelques moments partagés il y a longtemps, sur le sol du préau de l'école primaire Ferdinand Buisson, les pogs que je perdais, que tu gagnais, tu étais fort ou j'étais mauvais... Mais j'aimais bien jouer avec toi, même si tu avais deux ans de moins... Deux ans, ça comptait à l'époque, les classes ne se mélangeaient pas dans la cour...
- C'est loin tout ça.
- Je dois partir. J'étais content de te revoir."
Pour cacher mon émotion, un peu de science-fiction encore : je recule, je retourne dans le miroir, de l'autre côté, je le vois un dernier sourire avant que son image ne disparaisse à jamais dans un éclat de lumière.