Elle dort sur le canapé. Petit oiseau tombé du nid. Elle ne le gêne pas. Elle range le petit salon, elle lui fait la cuisine. Elle ne lui dit pas grand chose. Renifle un peu. Comment la mettre à la porte ?
Personne ne vient voir le vieil homme, personne ne sait qu'elle vit là. Il achète pour deux, la caissière de la supérette l'a peut être remarqué, ou pas du tout, plus personne ne fait attention aux autres. Une conserve, un chou en plus ne grève pas son budget.
Au départ, ils étaient trois jeunes. Il dormait ce soir-là. C'est en pyjama qu'il a ouvert. Il ne savait pas ce qu'il se passait. Deux filles et un garçon. Tremblants, les cheveux collés au visage par la sueur, et un peu de sang, des éclaboussures. Puis, au matin, le garçon et l'autre fille sont partis, sont rentrés chez eux probablement. Prendre une douche, se changer, reprendre leur vie. Elle, elle est restée sur le canapé.
Le petit appartement au rez-de-chaussée, ancienne loge de concierge, a deux fenêtres : l'une sur la rue, l'autre sur la cour. Mais elle n'approche pas vraiment des fenêtres. Elle préfère que les rideaux soient fermés.
Elle a envoyé des messages à ses proches, elle leur a dit : "je vais bien", elle a menti : "je suis chez une amie en Italie". A-t-elle honte ? De quoi ?
Dehors, c'est l'été. Mais elle préfère les feuilletons à la télé. Elle ne raterait pas "Les Feux de l'amour".
C'est dans sa chambre qu'il écoute à la radio les informations.
Les jours, les semaines passent. Toute époque à ses drames, mais il faut bien dire que celle-ci est bien triste pour les jeunes... Lui, vieux depuis longtemps, que peut-il faire ? Héberger cette réfugiée d'une guerre que personne ne comprend. Il pourrait lui parler d'anciens moments pas vraiment drôles qu'il a vécus, mais c'est maintenant qu'elle a peur.
Et puis un jour, elle a dit : "je pars". Elle m'a déposé un baiser sur la joue, et elle a dit aussi : "je reviendrai vous voir". Mais je lui ai dit : "non, ne revenez-pas. Et si vous pouvez, oubliez".
Il l'a accompagnée jusqu'à la porte. Il l'a regardé s'éloigner dans la rue. Elle marchait avec précaution. Elle n'avait plus l'habitude du vent.
Il a refermé la porte. Il a retrouvé sa solitude, priant pour que plus jamais deux filles et un garçon ne frappent à sa porte en pleine nuit.