La traversée de l'écran
Il entre discrètement, en retenant la porte derrière lui. Il cherche une place dans la salle déjà bien remplie. Il en trouve une au troisième rang en partant du fond, en plein milieu. Obligé de déranger les spectateurs. Dans la pénombre, on ne le reconnaît pas heureusement. "Pardon, excusez-moi... Non, ne bougez pas, ça passe". Il enjambe des jambes, évite des pieds, essuie quelques soupirs et réprimandes. Enfin, il tombe dans un fauteuil, entre deux personnes. L'une d'elles le dévisage, et une vieille femme qu'il ne reconnaît pas, mais elle le reconnaît. Il était dans le film il y a cinq minutes. Il était très drôle d'ailleurs. Toujours le mot pour faire sourire les gens tristes. Et puis, paf, un faux pas, et la chute fatale du haut de la falaise. Presque comique, mais personne n'a rit. Il hausse les épaules : "ça ou autre chose..." Sur l'écran, il retrouve des lieux, des gens familiers. Sa famille, ses enfants, heureux, malheureux, chanceux, malchanceux, il regarde leurs vies avec le sourire tendre des vieillards. Il ne peut s'empêcher de penser : "cinquante-neuf ans c'est jeune tout de même... mais bon, il y a pire...". Dans la salle, il y a au premier rang des enfants. Et ici et là des jeunes filles et des garçons arrivés trop tôt ici... Le film continue, sans eux, sans lui sur l'écran... Un film sans fin ?