Pétrichor
Ce soir-là, tu étais rentré plus tard.
Souviens-toi du fleuve qui déborde, tous les ponts impraticables.
Tu ne te souviens pas. C'est vrai que tout se mélange.
Le choix des armes, dérisoires, pauvres ou mortelles.
Un point fixe dans l'espace temps, en orbite autour de lui...
Et c'est comme si je me regardais tourner sans fin... Je me vois de l'extérieur parler aux autres, je m'entends réfléchir à ce que je dois dire, mes mots sonnent faux, je ne suis ni dans l'instant des choses, ni dans ma peau. Je vois les autres comme des êtres aussi perdus que moi qui s'agitent inutilement, j'éprouve de la peine pour eux, mais il m'arrive d'agir sans égards pour eux, en les considérant comme de simples choses manipulables et jetables. Qui vous a enfanté ? Qui vous a aimé ? Qui en a quelque chose à faire de vous ? Qu'en aurais-je à faire ? Vous avez eu du mal à garer votre voiture ce matin. Vous avez une rage de dent. Vous avez perdu votre alliance. Vous mangez sur le pouce à midi. Vous n'aimez pas le sucre dans le café. Vous recherchez un appartement dans le quartier. Vous avez pris rendez-vous chez l'ostéo... Vous cherchez de l'attention, de l'affection ?
Des gens, dans la rue, un peu de pluie. Un garçon, avec son père, qui fouine dans un container à papiers. Que cherche-t-il ? Journaux, magazines, livres... Je les fais fuir... Par terre, contre le container à verres, de grands cartons que je prends pour des pochettes de vinyles. Mais ce sont des grands dessins... Des visions de chaos illuminé, des scènes rétro-futuristes, fracas d'industrie, paysages dénaturés, lunes surdimensionnées, visages démultipliés, formes colorées qui bougent... Je les imagine sur les murs de mon appartement.
"Servez-vous, je les jette"... Quelques mots dans mon dos me retournent. Garçon qui ne m'en rappelle aucun, sourire sans fin qui désarçonne, sous les boucles rouges, ou roses, ou blondes, qui éclaire le visage pâle. Il continue : "Je n'ai trouvé personne à qui les donner, et là où je vais, je n'en aurais pas besoin."
Mais où va-t-il ?
Il dit : "le dessin est mon seul moyen de communiquer avec les autres. Communiquer mes sentiments, dire que j'aime, pleurer avec un ami, m'indigner..." Pour certains ce sera la musique. Et toi, qu'est-ce qui te permets de rester relier aux autres ?"
Je voudrais le retenir, mais il doit partir. Rencontre flash avant qu'il ne disparaisse dans la nuit.
Nous avons tous notre façon de gérer nos émotions. Le détachement est la manière la plus simple. Toutes ces choses qui s'accumulent. Personne ne veut vivre mille vies. La plupart du temps, fuir sa vie avec toutes les formes de distraction. Ton loisir préféré permets de faire le vide dans ta tête. Tu préfères la nuit parce qu'il y a moins de monde, moins de bruit, moins de choses visibles. Mais l'odeur du sol mouillé te rappelle trop de moments précis...