C'est un de ces derniers beaux jours de l'été. A la plage, j'hésite à me baigner. Mais l'envie est trop forte. Ce que j'aime : faire la planche. Ce moment où déjà sur le dos et les bras écartés, la tête passe sous l'eau jusqu'aux oreilles et seul dépasse le visage : flotter sans tourner la tête et ainsi ne plus voir autour les gens qui nagent, les gens qui bronzent, qui jouent, les vagues qui viennent. Pour quelqu'un d'anxieux comme moi, une telle situation est inhabituelle : je me demande combien de temps je peux tenir, comme d'autres tentent des records en apnée. Et si le courant m'emportait... Non, je me rapproche plutôt du bord... Arrêter de penser : se laisser aller, bercé tout entier par la mer à la surface de l'eau bien chauffée par le soleil...

Plus tard. Quand le soleil décline, se promener sur la jetée. Des jeunes dans l'eau du port. L'eau doit être fraîche. Parmi les estivants et les locaux qui goûtent à la douceur du soir, un garçon attire mon regard. Il se déplace sur les planches de la jetée avec l'aisance et la prestance des garçons beaux et bien élevés qui se savent beaux et bien élevés. Son regard dédaigne ou élit. J'aimerais tellement qu'il me remarque. Je tourne lourdement autour de lui attendant ce contact visuel qui sera la bonne ou la mauvaise rencontre. Suis-je ridicule ? Suis-je assez clair dans mon approche ? Il doit savoir tout de suite ce que je suis... Touché, gagné : sans ambages, il me demande : "tu fais quoi ce soir ?". La suite défile dans ma tête : chez lui ou chez moi, si facile, dans mon lit ou le lit de l'autre, une nuit d'amour... Mais il me refroidit vite : "attention, j'aime les trucs spéciaux." Il lâche quelques mots pour annoncer des pratiques que je ne connais pas, ou juste "de nom". Je ne sais pas si je veux mieux les connaître. Sentant ma réticence, il demande : "c'est quoi ton plus gros fantasme ?". Comme il y a du monde autour, je m'approche et lui glisse à l'oreille ce dont j'ai envie par dessus-tout. Il rigole : "C'est tout ! Si ce n'est que ça, pas de problème". Non, je n'ai pas envie de le suivre. Je ne le sens pas. Le plus simple ne lui suffit pas, il a besoin d'extrêmes... Je m'écarte de lui et m'intéresse à un garçon derrière lui lequel, je le sens à la façon dont il nous écoutait, a été sa proie d'un soir. Peut-être, si différent, pourrais-je l'accaparer à mon tour...