Quand je serai jeune, dans la bouche des mots que je ne comprends pas encore, une passion pour les pilotes de formule 1 et les chants des robots sur la musique de moteurs à trois temps, un visage soumis aux assauts de l'acné, paré pour la parade des Freaks du cinéma de minuit ; le trac du premier baiser, les silences après, comme lapin pris dans les flashes de la presse à scandale, avec le stress à paillettes sur les joues rosies ; c'était mieux avant le réchauffement climatique, on attendra d'être sous l'eau pour apprendre à nager ; les petits me regarderont de haut, avec leurs grands yeux, avec appréhension et admiration, et moi, l'air de déjà vu, oui, c'était moi dans leurs manteaux fluo et leurs bottes noires et blanches, mais dans leurs bouches des mots que je ne comprendrai pas ; je n'aurai pas encore fait mes dix-huit mois de service, je graverai des A dans des cercles, et je dessinerai des croix à l'envers de la main gauche ; je capterai des messages de l'au-delà entre les fréquences attribuées ; tout le monde aura le même visage endurci par l'ennui, sauf un seul, celui qui m'empêchera de m'endormir sur mes deux pieds, l'envie de marcher dans la nuit jusqu'aux rivières sans confluent, croiser des chats et toujours les mobylettes électriques des livreurs à domicile sur les boulevards ; le psy du lycée fera de moi un cas d'étude, mais il n'aimera pas me voir jouer le même rôle d'introverti extraverti dans une pièce de théâtre ; les tam-tams vibreront dans toutes les poches et les sacs, la dernière catastrophe s'affichera pour moi avant tout le monde sur ma montre connectée pendant que l'algèbre tombera en poussière de craie sur les tennis du professeur : dans sa bouche, des mots que je comprendrai pas, quand d'une urgence adolescente à une actualité foudroyante, les théorèmes sembleront si dérisoires sur les cahiers à petits carreaux : il n'y aura pas de formule magique pour ne pas être écrasé par la cohue dans les couloirs quand les sirènes retentiront ; les questions sur les lèvres des parents n'attendront pas les réponses crachées entre deux smileys, trop de saisons nous auront séparés ; sortant d'un coma d'une vie, le grand-père qui se sentira plus jeune que jamais prendra sa vieille harley pour faire le tour du monde à l'envers ; le garçon s'avancera à découvert, pas de sentiments quand il faudra le faire souffrir avec plaisir, l'amour dans ses yeux sera si écœurant, l'amour ce sera la question dans ses yeux : "pourquoi moi ?" ; un passé composé pèsera sur mes épaules, comme suivi par son propre fantôme dans les allées des cimetières ; dans mon walkman et mes écouteurs la même musique que dix ans plus tôt, et dix ans plus tard, la chanson d'un été enregistrée sur cassette ; et par le pouvoir d'un vêtement, jean ou blouson, dans les yeux d'un inconnu qui aura les mains dans le dos, attrapant le frisson qui glissera sur les vertèbres, ce sera imparfait comme un voyage dans le temps sans les clés du futur mais je ressentirai là le plaisir d'aimer être aimé.