Je ne sais plus si j'ai rêvé ou si je n'ai pas rêvé.
C'est rien, mais tellement.
Juste un regard. Je ne sais plus de quel côté il me revient.
Çà m'échappe.
Je sors de chez moi. Tous ces gens qui me frôlent dans la fête. J'essaye de reproduire ce regard que j'avais eu pour ce garçon hier dans un magasin - Ikéa ou Décathlon, je ne sais plus, ou quelque part ailleurs, rêve ou non ?
Garçon type asiatique, cheveux teints bleu gris.
Il ne m'a pas calculé.
Ce presque rien qui me fait vaciller entre raison et presque folie.
Quand on commence à confondre ce qui est réel et ce qui ne l'est pas, n'est-ce pas le début de la folie ?
Juste un regard, une seconde que je n'arrive pas à situer dans un espace temps ou un autre.
Le contraire du rêve lucide, le rêve qui n'est peut être pas un rêve, réalité non lucide, état d'extase qui exténue. Était-ce bien moi ?
Parfois au réveil, je garde des traces sur mon corps de rêves charnels.
Et plus souvent, c'est mon humeur durant toute la journée qui est marquée par les rêves. Même s'ils s'effacent rapidement, ils m'habitent pendant des heures, m'inspirant excitation ou tristesse, mélancolie ou euphorie...
Ce regard... J'hésite à le situer ici ou là, mais je penche pour le côté du rêve, parce que je suis trop timide pour fixer un garçon comme ça, même une seconde...
Et puis, dans les jours qui suivent, c'est bien moi marchant, courant dans les rues qui tient le regard d'inconnus. Comme ce garçon roux rue de Cherbourg...
Je descendais vers le jardin des explorateurs. Mon programme d'entraînement pour le marathon me demandait ce jour-là - un lundi - de courir à une "allure tranquille". Le rythme du "footing" est inhabituel pour moi. Je me force à trottiner. Mais petit à petit, sous les grosses gouttes éparses, pluie étrange au compte goutte, la nuit arrivant, douceur du soir, je prenais à plaisir à courir doucement, je découvrais de nouvelles sensations. Jusqu'à l'enivrement. Est-ce encore moi, si léger, survolant la prison et les ateliers jusqu'aux escaliers entre les nouveaux immeubles du quartier ? Est-ce bien moi qui ai regardé ce garçon dans les yeux ? Regarder quelqu'un, ça parait banal, mais non, je sais qu'il s'est dit "pourquoi il me regarde comme ça ? on se connaît ?" Un regard dans les yeux dérange le passant, il ne sais pas quoi en faire, il casse sa marche, et il l'emporte avec lui comme une petite tache sur un habit.