Gilles. Lettre dans la taie d'oreiller. 21 janvier 1996.
Ton père sur ma mère. Ton père dans ma mère. Horreur. Haine. S'il n'était pas ton père, je le tuerais.

Julien. Insulte dans l'escalier, main sur les fesses. 22 janvier 1996.
Enfant de putain

Gilles. Poème inachevé sur une page blanche d'un livre de Julien. Non daté.
Affreux rouquin
Mon mannequin
Moi arlequin
N'aimer aucun
Autre coquin

Julien. Lettre sous la porte. 6 mars 1996.
Cher demi-rien du tout,
Tu dois arrêter de m'écrire.
Je dois arrêter de te répondre.
Tu dois même arrêter de me regarder.
Cela va finir par se voir.
Les murs ont des oreilles.
Ma sœur est une cafteuse, fliquette.
Il faut s'y résigner.
Un jour peut-être ce sera différent.

Gilles, au talkie-walkie. Le même jour.
Tu me dis "un jour". Je te réponds "maintenant".
Nous vivons sous le même toit... mais... Samedi ! Papa, maman, au cinéma. Sœurette soirée pyjama chez Cassandra. Je me donne à toi dans mes beaux draps. Terminé.

Gilles. Enregistrement sur cassette. Face B. 2 avril 1996.
"Je t'aime" dans le magnéto
Pour toi dans le bus très tôt
Tout au milieu de la bande
Comme moi j'espère tu bandes

Julien. Chuchoté par la cloison de cabines des vestiaires de la piscine municipale. 7 mai 1996.
Si je vais vivre chez ma mère, ce serait plus simple. Je serais loin, mais je t'inviterai pendant les vacances. Qu'est-ce que t'en dis ? Réponds. C'est une bonne idée non ?

Gilles. Carte postale. La Baule. 15 juillet 1996.
Soleil. Orangeade Sirotée. Pieds Dans l'Eau. La piscine, tu aime
-rais. On t'embrasse (de loin, si près).

Julien. Cabine téléphonique près du château, message sur répondeur. 24 juillet 1996.
Êtes-vous rentrés ? Gilles j'ai reçu ta carte postale. Je t'envoie des photos à la maison, je ne suis pas sûr de l'adresse de votre camping. Bisous, maman, et Bertrand.

Gilles. Lettre du 13 septembre 1996.
Brûle cette lettre après l'avoir lue. Non par prudence, mais pour ne plus la relire, m'oublier.
Je ne t'envoie pas de S.O.S. cette fois. Fin des cachotteries puisqu'il n'y a plus rien.
"Avec le temps on n'aime plus" chante Ferré. Connais-tu ? Y crois-tu ? ... Il faut y croire.
Si père et mère ne s'étaient pas rencontrés, nous ne nous serions jamais rencontrés. Il se sépareraient que nous ne pourrions jamais être ensemble.
Il y a plus que des histoires de famille qui nous séparent.
Je ne veux pas te faire du mal avec plus d'amour que tu ne peux supporter.
Méchant ?
Quelques banalités pour finir :
J'espère que tu te plais dans ton nouveau lycée.
Ta sœur est amoureuse du frère de Marc (du tennis club).
Un arbre est tombé sur la maison du voisin.
Ton père envisage d'acheter le nouvel Espace.

Julien. Réponse du 20 septembre 1996.
Pourquoi m'écrire ? pour me faire autant de peine ?
Crois-tu que j'ai un cœur de pierre ?
Faut-il des mauvaises rimes pour prouver son amour ?
Je te demande du temps, tu parles de "néant".
Je connais la chanson de Ferré, je n'ai jamais su si elle était belle ou triste.
Ce que tu ne sais pas :
Un an avant la rencontre entre mon père et ta mère, je t'avais remarqué à la compétition d'athlétisme inter-collèges. Tu avais battu le record au saut en longueur. Mais ce que la médaille au mur de ta chambre ne dit pas, c'est que tu avais mordu la ligne mais l'arbitre ne l'avait vu, parce qu'il avait du séparer deux élèves qui se disputaient. Moi je l'ai vu ; toi non, tu semblais si "honnêtement" heureux... Je me sentais déjà connecté avec toi, et bêtement fier pour toi... Mais je n'ai pas osé t'approcher. Nous n'étions pas dans le même collège : je n'existais pas pour toi (?)
Ce ne sont pas nos familles qui nous ont rapprochés.
Enfants de divorcés, comme tant dans notre génération, la banalité c'est l'union entre ton père et ta mère du même milieu social et professionnel, de la même petite ville.
Nous cacher tout le temps, dans les chambres, salles de bain du même foyer, c'était étouffant. Donc, j'ai mis cette distance entre toi et moi pour respirer. Et je veux ce temps que nous n'avons pas eu. Peux-tu comprendre ?

Gilles. Message vocal sur le portable de Julien. 11 janvier 1997.
Ta mère m'a donné ton numéro. J'ai laissé ta lettre sans réponse : m'en veux-tu ? Tu ne m'as presque pas parlé pendant les fêtes.
Je repense souvent à cette médaille même si je l'ai rangée dans un tiroir. Je n'arrive pas à me souvenir de toi avant que nos parents nous présentent. J'en ai presque du remords.
Dis, est-ce que tu viendrais au ski avec moi aux prochaines vacances ?