"Est-ce que tu as de l'eau chaude ?"
Faut-il commencer par là ?
Non, plus tôt... Avril ou mai. Deux mille quelque chose. En dernière année de fac, master II ?
Faut-il remonter aussi loin ?
Peut-être.
15h30. Dans mon sac à dos, quelques feuilles volantes froissées, des stylo-bille, des disquettes, et peut-être, écrasé au fond, l'emploi du temps qui change souvent cette année... Mais non, je ne le retrouve pas... Il y a un cours en fin d'après-midi ? Mais dans quelle salle ? J'étais plus sérieux avant, maintenant je ne prends plus vraiment au sérieux tout ça, première année que je sèche des cours (cours sans évaluation donc...).
Plus tôt, vers 14 h. Une autre année.
Je dois être dans un appartement avec d'autres étudiants. Sur un canapé, je rêvasse. Non, "rêvasser" ne convient pas ici, car je pense à Pierre-Olivier.... Le reverrai-je ? Mais ce n'est pas lui que je fais entrer dans la pièce, mais un autre garçon, un peu gêné de me trouver là. Nous nous sommes embrassés il y a quelques jours. Il fait comme si rien ne s'était pas passé devant les autres, et, devant moi, rougit.
21 h. Début juin 201?. Il ne fait pas encore nuit, mais je vais me coucher. Demain, je dois me lever tôt et prendre le bateau pour rejoindre des amis sur une île. Est-ce que je suis chez moi ? Non, c'est une chambre d'hôtel. Je tire les rideaux, mais ils ne sont pas assez épais et laissent passer la lumière du soir.
"Est-ce que tu as de l'eau chaude ?"
Il est entré dans ma chambre sans frapper. Mais je le connais, c'est mon voisin de chambre. Un musicien du groupe xxxx xxx xxx en tournée.
Je lui demande : "Pourquoi ?"
"Il n'y a plus d'eau chaude dans ma chambre. J'aimerais me laver et..."
Il s'arrête net, le regard perdu dans le vide... Dans le vide ? Non, il vient d'être saisi, happé par l'image des rayons de soleil faiblissant mais traversant le rideau de ma fenêtre... Un souvenir peut-être qui le bouleverse... Et le voir ainsi ému me renverse, et me relève du lit pour aller vers lui, le ramener doucement - sans résistance de sa part - vers le lit sur lequel je le couche en travers, puis je le rejoins, me recroqueville contre son ventre, j'enfouis mon visage dans son pull-over, pour chercher dedans et à travers son odeur d'homme non lavé. Est-ce que ça le gêne ? Je pense à une chanson de son groupe : "Je suis venu te dire : faut être heureux". Il ne bronche pas. J'ai envie de lui. Mes yeux descendent vers son jean, la braguette, j'ai envie de le prendre là, maintenant.
5h52, deux heures plus tôt. La gorge archi-sèche et mal au crâne, je trouve mi-réveillé ma gourde d'eau pour boire un peu. Puis je me rendors.
Faut-il terminer comme ça ?
Ou bien plus tard. Second réveil, 7h50 et des poussières. Toujours soif et migraine. Mais trouver la force de prendre mon calepin pour noter pêle-mêle les bribes du rêve inachevé sur ce lit avec cet homme, et les rêves précédents.
Mon écriture est horrible mais j'arriverai à me relire... "sentir son odeur.... est-ce que ça le gêne... je glisse plus bas... envie de le prendre..."
11h au bureau. Je cherche un doliprane dans les tiroirs de ma collègue. Jeudi dernier, en vacances, même mal de tête prostré dans mon lit. Personne pour me donner un médicament.
13h. La migraine s'efface mais sieste à la maison. Pas la force de reconstituer les rêves de la nuit, je le ferai plus tard (éludant des moments, instants, recollant d'autres ensemble bien que séparés dans le temps des rêves, comblant des oublis avec des inventions, hésitant entre récit linéaire et déconstruction complète, inintelligible s'il le faut).
8h. En bas de la page du calepin, quelques vers dont je ne sais pas ce que je ferais : "Rouler à droite en Angleterre / Manger du pain sur Jupiter / Des avocats sur planète Terre"... Absurde, mais je trouve que ça sonne bien.
21h45. Piquant du nez devant un série télé, je préfère éteindre pour aller écrire. J'ai déjà un titre : "Rien, tout, un peu".
23h35. Toute douleur (tête, oreille, jambes) disparue, derniers mots, question : "était-ce une bonne journée ?"