nuit s'achève.
dans un bus ou tram.
comment suis-je arrivé là ?
au réveil je ne saurai plus.
il y a aura après matin, après-midi, nouvelle nuit, quelques secondes, minutes retenues.
et des trous dans ces instants comme mots à l'encre effacés par temps.

par où commencer ?
eau boueuse d'un lac, mais m'y baigner.
plus tard descendre route, au hasard, arriver à belle plage, soleil, eau bleue.
entre temps, dialoguer avec une machine - si c'était aussi facile avec les humains.
plus tôt, ou plus tard, nuit alcoolisée de bar en bar dans une grande ville, rentrer en taxi à l'hôtel... avec qui ? (Robin ? Arthur ?)
et puis, finalement, sans lien, ou lien oublié, ce bus ou tram - Brest c'est sûr.
une ligne avec des courbes, virages, brusques arrêts.
s'accrocher à la barre,
passer d'une barre à l'autre avec un peu le mal de mer.
mais je l'ai vu ! à l'avant lui ! aller vers lui, lui !
lui, figure fuyante ces derniers temps,
lui disparu pendant plusieurs années après nos retrouvailles chaudes.
ces nuits qui continuaient plusieurs jours...
est-ce bien lui ? encore lui ?
oui, lui, intact comme au premier jour de notre rencontre.
intact comme ma capacité d'émerveillement.
face à lui, moi aussi je serai toujours le même.
avant, après, pendant, le même : maladroit amoureux transi.
je vois qu'il est en train de lire des feuilles de cours.
il sera, comme moi, éternellement étudiant.
l'histoire doit recommencer comme nous étions quand elle s'est arrêtée
et à chaque fois les rêves m'offrent une seconde chance.
être plus hardi cette fois !
je l'aborde sans cacher joie : "Hé ! Comment vas-tu ?"
il lève yeux des notes et me répond sans émotion, mollement comme à son habitude :
"tiens, que fais-tu là ?"
sans attendre la réponse, il replonge dans ses notes.
je les lis à l'envers sur la pointe des pieds.
il me semble qu'il révise un exposé qu'il doit réaliser.
"Tu as beaucoup de travail cette année ?"
pourquoi je lui demande ça ? Et quelle année d'ailleurs est-il ?
il ne répond pas.
pourquoi est-il aussi agaçant, et reste-il si désirable ?
est-ce souffrir qui m'attire ?
dans un virage, je fais mine de perdre l'équilibre, et tombe dans ses bras
mais mon étreinte dure trop longtemps pour être simple accident.
j'aurais tenté, mais il n'est pas (cette fois) intéressé
comme je peux le voir à son air de dégoût et quelques mots de rejet :
"qu'est-ce que tu fais ? ça va pas !"
je reste un peu honteux près de lui, lui un peu gêné, et nous ne nous disons plus rien
jusqu'à ce qu'il me voit taper un mail sur mon smartphone.
il me dit : "il y a un code secret quand tu écris un mail. si tu écris "toc-toc", une application cachée se lance."
(Toc toc ? Qui est là ?)
je tape "toc toc", et des gens apparaissent sur mon écran.
des gens qui se filment dans leur vie quotidienne, vie intime parfois.
est-ce en direct ?
il me montre comment passer à une autre vidéo, puis à une autre,
c'est sans fin, il y a des millions de personnes à découvrir,
de tout âge, beaux ou laids, tristes ou drôles, riches ou pauvres.
il dit avec un regard soudain illuminé : "j'y passe toutes mes soirées"
un garçon et une fille me disent "bonjour" - me voient-ils ?
"oui, tu peux aussi parler à des inconnus"
je me demande s'il regarde avec intérêt sur l'écran le garçon ou la fille.
je me demande aussi quelle serait sa réaction s'il tombait sur moi un soir sur cette application.
(n'entend-on pas à la radio ce morceau avec "Est-ce qu'on sera toujours triste dans le métaverse ?")
aurais-je plus de chance sur l'écran de son téléphone ?
... il descend du bus ou tram, je ne le suis pas.
le retrouver oui, au hasard de ce nouveau zapping, c'est ça la "soluce".
je ne pourrais pas le toucher, mais peut-être pouvoir lui parler dans les yeux
tous nos souvenirs oubliés (maladresses, erreurs, indifférences)
redevenus des étrangers qui se rencontrent au hasard de ce réseau.
et tout recommencer ?