Chaque jour se demander : la beauté des choses est-elle plus forte que l'horreur banale, quotidienne, des faits divers du coin de ma rue aux grandes tragédies du monde ?
La douleur des autres ne nous empêche pas de dormir.
Mais comment continuer à s'émerveiller ?
Tout ce qui vit affronte la mort. C'est un combat permanent, mais même l'infinitésimal geste beau - souvent malgré lui - fait un pied de nez au trépas.
Alors que je fais un peu de roller sur la place, trois garçons croisent mon chemin sans me voir. Si bien semblent-ils dans leur bulle légère de jeunesse, de beauté et d'amitié, bien semblent-ils car ignorant la fragilité de la jeunesse, de la beauté et de l'amitié.
Quelques minutes plus tard, un des trois garçons, le plus grand des trois, le plus mignon, revient vers la place. Il revient en courant, avec ses grandes jambes qu'il traîne derrière lui. Il se dirige pressé vers les toilettes publiques. Il est pressé, doublement, urgence du besoin, et ses amis qui doivent l'attendre sur la passerelle. Juste avant qu'il n'entre dans le lieu d'aisance, je vois cette image sublime de ses deux mains qui cherchent en haut du pantalon jean baggy la braguette et se préparent à l'ouvrir.
Quelques jours plus tard, lui c'est, alors que je sors du cinéma, un garçon seul, qui traverse la place, seul, mais avec quel panache. Il porte un chapeau improbable, large chapeau blanc, chapeau de soleil, en plein hiver. Il marche très sûr de lui, tête haute, absolument imperméable aux regards des autres. Je le regarde fasciné arriver à ma hauteur, me dépasser, se diriger vers l'escalier. Je le suis, sans le suivre : nous allons juste dans la même direction. Avec des boots noirs et un pantalon kaki, il se donne des airs militaires, militaire dans le désert avec ce grand chapeau blanc. Il grimpe rapidement les marches, plus vite que moi. Je le vois en haut disparaître au fond de la plateforme (vers le téléphérique ?). Je ne le suis pas, ce n'est pas ma direction. Je reste un peu étourdi. En sortant de la salle du cinéma, les lumières artificielles m'avaient déjà ébloui, et passer du monde imaginaire du film à la réalité est toujours brutal (même si le film était moyen). Et puis tomber sur cet "original"... Un homme, se demandant peut-être si je vais m'évanouir, me dit doucement "bonsoir". Je ne le connais pas, je me demande s'il va me demander de l'argent. Je ne sais plus si je lui réponds. Je passe devant d'autres gens, puis sors dehors.