14.04. Deux mois après, j'ai retrouvé ce garçon au look improbable, grand chapeau blanc de légionnaire... Dans la foule, il ne passe pas inaperçu... Et il a beau se déplacer d'un coin à l'autre, je le retrouve toujours du regard... Le décor, c'est la grande place de la ville, un concert au profit des caisses de grève, ambiance kermesse, drapeaux et fanions des syndicats, scène rock de meule, prises de paroles, fumigènes, chansons militantes ("Ça ne peut pas durer comme ça" / "Il faut qu’il tombe, tombe, tombe"), pluies de bières sur les pogos. Et dire qu'il y a trois ans nous étions confinés (pour rien)... Malgré la décision du conseil constitutionnel, l'ambiance est "bon enfant" (comme dit "BFM" quand il n'y a pas de "tensions")...
Le chapeau se déplace en haut de la place puis redescend à droite de la scène avec des amis qu'il a rejoint tout à l'heure... Avant de le perdre de vue, il y a ce dernier moment, volé au cours du temps : je le fixe, je suis à vingtaine de mètres de lui, il est impossible qu'il me remarque parmi tous ces gens qui s'enjaillent, (et puis quel intérêt aurait-il pour moi ?) mais quand il tourne son regard dans ma direction, j'ai l'impression qu'il m'a vu, je soutiens son regard quatre secondes puis baisse la tête...
Je ne suis vraiment pas à l'aise dans le monde réel... Imagination, fantasmes, fantaisies, perturbent ma perception de la réalité. De simples gestes me rappellent parfois des moments rêvés. Parfois, tout au contraire, il y a une dissociation totale... Par exemple, durant cet échange des plus plats avec un collègue autour de la machine à café, j'oublie alors complètement tous ces moments qui m'ont fait le désirer... Il faut rester "professionnel"...
Parfois je me sens comme dans ce rêve dans lequel je pensais m'être réveillé, levé, sorti de ma chambre, mais, encore ivre de fatigue, je parvenais difficilement à rester éveillé en marchant dans le couloir vers la cuisine. Je fermais un œil, rêvais de cet œil tandis que je m'étonnais de l'autre œil de l'état de mon appartement étrangement en travaux...
Je rêve toujours d'un œil, et l'autre œil ouvert voit-il vraiment la réalité ?
15.04. Je me remets doucement d'une mauvaise trachéite. Je n'avais pas été malade comme ça depuis des années. Dormant mal la nuit - me réveillant plusieurs fois la gorge en feu, crachant mes poumons - ko dans la journée, restant enfermé en me traînant lamentablement du canapé au lit (quand je trouve une bonne position et un peu d'apaisement, je reste de longs moments à fixer un point dans la pièce) - juste la force d'aller manifester. Le médecin m'a prescrit un sirop pour la toux parfaitement inefficace. Ce n'est pas viral, donc pas d'anti-biotique. La chimie ne m'étant d'aucun secours, je me rabats sur les remèdes de grand-mère : citron, miel, thym... Mais toujours cette respiration difficile... Encore quelques jours et je ne tousse plus... Mais, entre temps, je me suis fait mal aux côtes, sans pouvoir me souvenir du choc.... Est-ce en toussant trop fort ? Ou bien me suis-je fait mal dans un rêve ? Mystère... Je me remets doucement... Il faut que je récupère, je dors beaucoup... Rêves confus, durant les nuits, et les siestes... Le garçon au chapeau que je file dans les rues... Je le suis en voiture... Et là, il m'appelle sur mon téléphone : "tu pourrais venir me chercher pour m'amener au travail ?" Si jamais il se retourne, il va me voir dans la voiture juste derrière lui... Je me plie en deux pour me cacher. Il me dit où il se trouve. Je lui dis que je peux être là dans cinq minutes. Quel lien nous unit pour que je sois son "taxi" ? J'enclenche la marche arrière, pour me planquer dans une ruelle...