Le Président au milieu de ses sujets parle avec le verbe léger mais en arrière-fond l'impératif, l'injonction. Qui s'y frotte, s'y pique : le "contact" avec le peuple vire à la bousculade ; quelqu'un lui fait un croche-pattes. Est-ce mon pied qui le fait trébucher ? Une gifle ou une insulte, je sais à peu près combien ça coûte mais je me demande combien on risque pour un croche pattes ? Ce n'est pas un coup, est-ce un acte violent ? Le Président ne tombe pas, il est rattrapé par un gaillard, qui sans demander l'avis du colonel et de la brigade embrasse sur la bouche l'être élu... Ce dernier ne repousse pas l'assaillant, il semble même prendre du plaisir. Les rumeurs, fantasmes ou délires, seraient-elle vraies ?
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Sur les murs de ma ville ces mots tracés au pinceau ou à la bombe.
"On peut gagner"
"Tu es fort.e"
"Tu as du prix à mes yeux"
Des intentions, opinions, idéaux différents mais la même fraternité anonyme.
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Depuis quelques semaines, je recherche une maison à acheter. Je visite ainsi la maison dans laquelle j'ai grandi. J'aurais les moyens de la racheter (mes parents l'ont vendu lorsque j'avais dix-huit ans), d'y habiter. Depuis que je l'ai quitté, j'ai rêvé souvent que je me retrouvais dans cette maison (a contrario, je rêve très peu de la nouvelle maison de mes parents et de mon appartement). Je constate la mauvaise isolation à l'étage, humidité du plancher. De simples fenêtres en bois. Je ne me souviens pas avoir eu froid quand j'étais petit. Ni faim d'ailleurs, même si nous avons vécu plusieurs années à six sur une paye d'ouvrier, avec le crédit de la baraque à rembourser...
... Pendant que je cherche un nid, mon collègue - en fin de contrat - est parti à l'autre bout du monde. Avec deux copines et son frère, il voyage à travers l'Amérique latine. Je suis leur parcours sur insta. Avant qu'il ne parte, je lui ai dit : "dans six mois tu reviens et c'est moi qui pars, tu me remplaceras..." C'était pour rire, je ne suis pas voyageur, je suis même terriblement casanier... Il me faut faire "violence" pour sortir dans la rue...
... Me pousse dehors la révolte et la lutte... L'autre jour, la manif prend une drôle de tournure : au milieu du parcours, la route est bloquée, des membres du gouvernement prennent la parole sur une tribune pour "expliquer" leur réforme. Il y a peu de bruits de casseroles et de huées. Les gens seraient-ils résignés, bons moutons qui se soumettent au berger... Je m'agace dans mon coin : "c'est un traquenard". J'essaye de me faire entendre en criant : "c'est un traquenard !" Mais personne ne m'écoute. Personne ne m'écoute ? Non, on m'écoute. J'arrive à attirer l'attention de quelques uns, et ces quelques-uns font se retourner quelque uns, lesquels font se retourner quelques uns... Et quelques minutes plus tard, c'est tout un fleuve que je détourne, que je fais remonter une autre rue pour poursuivre la manifestation. Moi d'habitude suiveur, je suis le meneur, et je me sens puissant... Quand devant nous, il y a un barrage de flics, je fais reprendre à la foule "tout le monde déteste la police". Mais nous n'irons pas à la confrontation. Occupons la place ! Qu'ils viennent nous déloger !...