Le film se termine et je me demande à nouveau ce que je viens de voir, ce que le réalisateur a voulu raconter... J'ai compris l'histoire mais je n'ai pas compris le film, le sens, l'intérêt, l'urgence. Depuis quelque temps, je ressens cela pour la plupart des films. Les productions récentes sont très souvent de belles œuvres techniques mais la plupart des scènes sonnent faux, les intrigues pré-fabriquées, les dialogues creux. Ce qui manque trop souvent : le hasard, l'irrationnel, les incohérences (celles que les critiques s'amusent pourtant à relever), l'imprévu, l'imprévisible...
Quelques exceptions (récentes) : les frères Dardenne - "Tori et Lokita" - Tony Gatlif - "Tom Médina" - Christophe Honoré - "Le lycéen", Justine Triet - "Victoria", ...
Je sais que mon hypersensibilité recherche aussi des sentiments/états/émotions violentes : honte, fébrilité, lâcheté, cruauté, terreur, bassesse, extase, déshonneur, qui ne trouvent pas beaucoup leur place dans les films d'aujourd'hui...
Bien sûr, c'est dans la vie qu'il faut trouver cette "vérité"...
Mais c'est dans d'autres univers que je passe mes journées, soirées.
Devant mes yeux, les lignes de code s'entremêlent, les calculs s'entrechoquent, les couleurs se mélangent... Et dans mon casque, je réécoute sans cesse les mêmes chansons...
Quand je passe dans la vie vraie, j'ai peur du "choc" en jetant mon corps et mon âme dans une fête pleine de gens. Mais ces gens sont comme moi : solitude qui se confronte à la multitude, entre peur de l'autre et envie du contact...
Lui, que je remarque dans la foule, reste indifférent aux gens qui le bousculent légèrement pour rejoindre quelqu'un ou s'approcher de la scène.
Étrange spectateur qui m'intrigue tout de suite à peine suis-je arrivé en cours de route au concert.
Pull, polo, parka, pantalon beige avec ourlet, puma, cheveux coiffure sage, poils éparses sur le visage, rien d'extravagant...
Mais pourquoi bras croisés, ou main tenant l'autre poignet, garde-t-il la tête baissée, les yeux mi-clos, pourquoi ne regarde-t-il pas la chanteuse "se donner" toute entière sur scène, les musiciens se démener ? Pourtant il a l'air d'aimer, je crois même qu'il connaît bien les titres de l'artiste, ses lèvres bougent, il semble connaître les paroles... Mais il se refuse à applaudir entre les morceaux... Il lève juste lentement la tête, ouvre doucement les yeux, ébloui par le soleil, et regarde quelques secondes la scène avant de rebaisser la tête.
Juste derrière lui, un garçon, même style vestimentaire, un peu plus grand et plus mince, lui chuchote des choses que je n'entends pas. Celui-ci regarde le concert, sourit davantage.
Soudain, il vient poser sa main sur l'épaule de son ami et masse l'épaule quelques secondes, geste de tendresse, d'amour, de passion contenue dans le creux de la main.
Je reste jusqu'à la fin du concert, le regard "de biais" entre la scène et les deux garçons (amoureux ?). Je prends quelques photos d'eux discrètement de dos. Je prends aussi quelques notes sur mon téléphone, parce que je voudrais écrire quelque chose sur ce moment... Peut-être le recoller avec d'autres moments, vies ou rêves, ces êtres croisés, étrangers qui m'ont ému, que je ne reverrais peut-être jamais...
Après le concert, je les suis, filou fileur, de loin pour ne pas être remarqué. Ils vont comme moi vers un autre spectacle. Je les perds dans le public.. Je les cherche quelques instants en passant un peu gêneur/gênant/gêné entre les gens, puis je me faufile vers le devant de la scène, m'assois par terre.
C'est un spectacle autour d'une étrange structure composée d'un disque géant que les artistes font tourner en marchant, dansant en équilibre dessus à plusieurs mètres du sol... Je suis fasciné, émerveillé. La nuit tombe, la musique finit de m'hypnotiser... Et je pense à ces intelligences artificielles incapables de produire ce genre de spectacle vivant, comme elles passent à côté de ce qui ne se voit pas, tics mentaux, prières à soi-même, adorations fugitives, atermoiements, répétitions des mots à dire dans la tête, pensées repoussées au fond de soi, peines inconsolées, hésitations des décisions, secrets de l'imagination, soubresauts de la mémoire... Imprévisible et imperfectible machine à penser, vivre...