Le temps ne correspondait pas à une fin d'après-midi d'octobre : la chaleur descendant du ciel bleu pesait sur nos corps alanguis sur un banc devant le terrain de foot du campus.
Damien lui se tenait en équilibre instable au bout du banc sur le dossier. Il portait un débardeur rouge vif. Ses bras étaient musclés comme il fallait, mais la suffisance de ce garçon m'agaçait. Mais je ne disais rien. Lui seul parlait, nous étions trois ou quatre à l'écouter.

Alors qu'il n'était pas dix-neuf heures, mes camarades décidèrent de se rendre bien en avance au self pour être sûr d'avoir une (bonne) place (comme des pensionnaires de maisons de retraite, pensai-je).

Je les quittai à la porte de la salle du restaurant universitaire, j'avais besoin de passer dans ma chambre, de me rafraîchir avant de dîner.

L'escalier qui menait aux chambres était bloquée par des travaux d'entretien. Je rebroussai chemin, mais, comme j'avais encore chaud, je cherchai les toilettes, en évitant d'entrer chez les dames.

A un lavabo, je me passai de l'eau froide sur le visage ; je pris trop de papier pour m'essuyer, et, dans mes mains, en la compressant pour le jeter, la boule de papier pris du volume. Le sac poubelle des toilettes n'était pas trop petit pour la contenir. J'allais partir lorsque je sentis que je ne pouvais laisser le sac là, c'était comme s'il n'y avait plus seulement du papier pour les mains dedans, mais du papier avec des choses personnelles dessus, des secrets, des choses compromettantes... J'emportai donc le sac, et cherchai une grande poubelle pour le cacher au milieu des ordures diverses.
(Il faut de temps en temps faire du ménage dans ses affaires, voilà une bonne occasion)

Bien organisé, un groupe d'étudiants est en train de fouiller les poubelles du campus pour y trouver de quoi manger. Alors qu'ils remettent dans une poubelle ses sacs, je glisse le mien : "c'est juste des trucs sans intérêts, des papiers.

- Bonjour quand même, on n'est pas des sauvages, comment tu t'appelles, quelle année, c'est quoi ton 06, le minimum quoi, me fait l'un des deux garçons.
- Ah bon ? Désolé, je suis un peu rustre... (il me coupe avant que je me présente)
- Clément. Et lui... (je le coupe avant qu'il présente son ami vers lequel je me tourne)
- Salut, ça va ?"

Il a une petite gueule assez mignonne, une chemise entrouverte, pas de quoi s'extasier mais la chaleur est encore là, dans l'air, rendant fébrile... La poubelle nous sépare, je me colle contre elle, pour m'approcher de lui, et, de but en blanc, lui demande : "t'es libre ?". Je fais mine de prendre l'autre au mot. Faisons connaissance, et plus... "Non". Raté !

"Mais, continue-t-il sur le ton de la confidence, les choses sont plus fragiles... Je sortais avec une fille depuis cinq ans, elle m'a largué sans raison. L'autre samedi, je rencontre un garçon, en cinq minutes, il se passe quelque chose entre nous... Un truc que nous n'oublierons sans doute jamais..."

J'ai envie de lui dire que j'ai dans le sac que j'ai déposé des histoires comme ça... Mais la sienne est plus troublante. Et s'il était là en train de vivre la même chose avec moi... Drôle d'endroit pour une rencontre amoureuse, mais il y en a des pires. Les éboueurs passeront demain matin, emportant les poubelles, direction l'incinérateur. J'écrirai un brouillon de mots doux à ce garçon, je le froisserai, après avoir reçu un SMS de lui (le papier, c'est fini).