Pour la beauté du geste
Après être sortie de la route, la voiture plonge dans l'eau du lac. Je plonge pour me porter au secours de ses occupants. Deux garçons. L'un, déjà hors de la voiture, s'approche de l'autre au volant. Il me voit. Je lui fais signe de prendre le pouls au cou. Il le fait, puis se retourne vers moi et fait non de la tête... Mais, derrière lui, je vois son ami bouger... Étrange... Veut-il le laisser mourir ?
Sous l'eau, je ne nage pas, je vole. Je vole au secours du garçon dans la voiture... mais les secours arrivés à point me volent l'occasion d'être un héros.
Dans une doudoune, si mignon, il m'accueille tout de même à l'hôpital comme un sauveur. Dans le couloir de l'hôpital, je ne lui raconte pas la drôle d'attitude de son ami car il me parait assez troublé comme ça, troublé de naissance, il a un petit grain en plus de celui sur la joue.
Un infirmier lui demande ce qu'il fait debout, je dois le retenir à bras-le-corps pour qu'il ne le couvre pas d'injures, il n'est pas fort, il se laisse faire. "Ça va, c'est juste que quoi, à part un peu froid, à cause de l'eau, quoi, ça va je ne suis pas blessé, je ne vais pas m'installer ici la nourriture est immangeable".
Nous allons à la cafétéria, partager un sandwich qui déborde de frites chaudes. J'adore les frites. Lui aussi. Nous étions faits pour nous entendre...
Rires dans la salle. Mes quelques lignes lues à haute voix par le professeur d'un ton déjà cassant. "Vous vous êtes trompé de cours. Les garçons comme vous font plutôt danse ou stylisme."
Les clichés ont la peau dure. Moi aussi, ça tombe bien.
Un ami se lève : "lâchez le !"
Merci, mais ça va, n'offense pas qui veut. Et puis...
Au fond, assis peinard, ne demandant rien, ne s'attendant pas à ce que je vienne vers lui, Pierre que je tire de sa torpeur en volant au bout de ses lèvres et du bout des miennes un baiser à son grand étonnement : nous ne nous sommes pas vus depuis longtemps et puis là, devant tout le monde, c'est gênant tout de même, même pour la démonstration, même pour la beauté du geste, geste doublé par celui de ma main qui glisse de son cou sous son tee-shirt sur son épaule et rencontre quelques poils que je ne connaissais pas et qui m'excite fortement.
Et dire qu'il y a quelques semaines, je ne m'arrêtais pas en voiture en passant devant lui et sa mobylette en panne... et l'ami qui était avec lui. Jaloux ? Non, indifférent, hélas indifférent.
Maintenant, je cours après lui, dans les couloirs, sur les toits, vertige, dans la machine à démonter le temps, tout se mélange, je suis balloté entre le passé et le futur, projeté au delà de moi-même. J'oublie de dire merci quand il (un autre) me dit "je t'aime", en s'approchant trop près de moi, après m'avoir rappelé le slow que j'avais dansé avec une fille lors de la boum de fin de classe de neige, danse qu'il avait filmée (preuve compromettante) avec une certaine jalousie (même s'il plaisante en disant qu'il aurait dû envoyer la cassette à Video Gag).
Je suis jeté hors de la machine essoufflé, mais je passe une journée merveilleuse.