Je lève le regard : un garçon assis sur la table. Il me ressemble, et cela éloigne mon désir de ses lèvres. Certes, il affiche un air plus prétentieux et moins intelligent que moi (trêve de modestie) et il porte des lunettes et je n'en porte plus. Mais son visage a la même forme que le mien, les traits sont semblables, il est brun...

Je lui demande : "Tu attends quelqu'un ?
- Deux amis doivent venir me chercher."
Je pense ou dis à voix basse : "ouais, je vois le genre", incorporant mes fantasmes à sa réponse (deux amis...) et creusant en même temps hypocritement l'écart entre lui et moi. Cela ressemble fort à de l'hypocrisie de ma part.
Il pose ses pieds sur la chaise à côté de moi.
Il a les pieds nus.
Si son visage ne m'attire pas, n'est-ce pas normal que la partie opposée de son anatomie m'intéresse ?
Non, car qu'est-ce donc que deux pieds pour ma libido ?
J'oublie les grosses chaussettes de X, les pieds de Y lavés dans le ruisseau... J'avais ressenti quelque chose d'étrange mais de si fugace que cela ne m'a pas marqué comme marquent les baisers ou les coups.
Cependant, sans savoir pourquoi, je prends dans ma main son pied gauche, je tâte ses orteils, sans qu'il s'effarouche, le gros orteil et l'orteil voisin... Mes sens visuel et tactile me disent seulement que ses pieds sont propres et ses orteils bien proportionnés mais un autre sens, moins contrôlable, me fait un autre effet.
L'érection que provoque le toucher de son pied me déconcerte doublement : ce garçon ne m'apparaissait pas attirant et je ne me pense pas prendre mon pied en touchant le sien.
Mais mon sexe sait mieux que moi ce qui est bon. C'est sa spécialité, et pendant que j'agis ou pense autre chose, il guette l'instant propice, le mot, le geste, l'image qui l'excite. Il va chercher son excitation plus profondément que nous le faisons avec notre pauvre réflexion.
Je voudrais faire taire ce désir étranger et incongru. Mais je ne peux pas contrôler sa manifestation, je suis impuissant face à ce désir.
Il fait partie des désirs qui retournent mes désirs conscients et trop sages, déconstruisent leurs formes trop simples et leur donnent des formes plus primitives.
Pars avec tes pieds et tes amis.
Je reste là, mis à nu, rendu à ma nature.