David Bessis, Mathematica. "La transcription des rêves a constitué le premier vrai travail d'écriture de ma vie.
"C'est vers dix-sept ans que j'ai commencé à m'y intéresser. Au début, je trouvais trop dur de directement les écrire. J'ai essayé de m'enregistrer en train de les raconter à voix haute. Mon projet était de les collectionner comme on tient un journal intime ou un album photo.
"J'ai été obligé de renoncer à ce projet à cause d'un phénomène auquel je ne m'attendais pas et qui est devenu envahissant. De jour en jour, sous l'effet de mes efforts pour me remémorer et mettre des mots dessus, mes rêves gagnaient en richesse et en précision.
"Je rêvais de mieux en mieux. Je rêvais tellement bien que ça en devenait gênant.
"La première fois, j'arrivais à me souvenir que de minuscules fragments, quelques bribes d'un unique rêve. Au bout de de deux ou trois semaines, je pouvais raconter chaque jour cinq ou six rêves différents, chacun avec une histoire complète et assez de détails pour occuper plusieurs pages d'écriture ou de longues minutes d'enregistrement.
"C'est ce qui m'a fait peur. Les souvenirs de mes rêves prenaient trop de place dans ma tête et dans mes journées. J'ai eu l'impression que cet exercice d'introspection allait finir par me dévorer. (...)
"Je suis frappé du nombre de personnes qui disent ne jamais se souvenir de leurs rêves. Certains disent ne jamais rêver. C'est bien sûr impossible. Nous rêvons tous, toutes les nuits.
"Se souvenir de ses rêves n'est pas un don qu'on reçoit à la naissance. C'est une faculté qu'on développe soi-même par la pratique. (...)
"Quand je cesse de noter mes rêves, je perds très vite la faculté de m'en souvenir. (...) Le plus difficile, c'est d'attraper un premier morceau de rêve après une longue période sans y être parvenu."

J'ai connu entre 2009 et 2011 une période très intense d'écriture de mes rêves. Ai-je rêvé davantage durant cette période ou bien le fait de me souvenir et retranscrire mes rêves a amplifié ma faculté à garder en mémoire mes rêves après la nuit passée (dans un cercle vertueux : rêver, écrire, rêver davantage, écrire davantage) ?
Durant cette période, j'avais davantage de temps le matin (je ne travaillais pas) pour me souvenir de mes rêves. Le réveil arrête brutalement le rêve, c'est un choc mental qui fait passer à la fois d'un lieu à un autre, d'un temps à l'autre et d'un état à l'autre. Le plus simple est de chasser vite de ses pensées ce qui vient de se passer : il ne s'est rien passé d'ailleurs ce n'était qu'un rêve. Et puis, nous n'avons pas le temps : il faut se lever, vite toilettes, douche, petit-déjeuner, auto/métro, boulot comme un robot... Les rêves se perdent ainsi... Je ne rêve pas moins aujourd'hui, mais j'oublie plus rapidement... Mais il y a des images fugitives qui restent plusieurs jours/semaines/mois/années à l'esprit et me troublent autant qu'une histoire plus longue.
Dans la littérature, on retrouve deux tendances concernant les rêves : l'analyse psychanalytique, qui détourne les choses les plus banales (les voyages, la nature, les relations amoureuses) du sens premier, et plus souvent, le récit de rêves à tendance fantastique au milieu d'une histoire, comme si des récits réalistes pouvaient venir en concurrence. Les rêves nous font peur quand il sonnent vrai. C'est un jeu dangereux de s'y intéresser car cela amène à mener une double vie (les rêves pouvant se répondre, se continuer de nuit en nuit). A vrai dire, il faut trouver le juste milieu : se souvenir de tout est épuisant, tout oublier fait passer à côté de sensations/idées/images magnifiques...