Thomas était au rendez-vous. Nous avons déjeuné ensemble et poursuivi la conversation du matin. Pourquoi tenait-il à me convaincre qu'il était très chanceux ? Derrière sa légèreté, je devinais une inquiétude que je compris lorsqu'il me raconta sa vie. A deux ans et demi, il avait survécu à une chute du quatrième étage de l'immeuble qu'il habitait. Il s'en était sorti avec quelques égratignures en tombant dans un buisson. Enfant, quand il jouait, c'était un casse-cou, sauf qu'il ne se cassait jamais le cou. Comme les chats, il retombait toujours sur ses pattes. Il affrontait le danger et s'en sortait toujours bien. Il en avait conscience et adolescent, il jouait avec les limites sur son scooter. A force, il entra un jour en collision avec un camion : là encore, quelques bleus, rien de plus. Il se calma mais la chance ne la lâcha pas et joua "ailleurs"... Un été, il rencontre une fille à un festival de musique des vieilles charrues. Ils font l'amour puis se séparent à la fin du festival, elle habite loin. Six mois plus tard, elle vient s'installer avec sa famille dans la même petite ville qu'il habite, et se retrouve dans le même lycée et dans la même classe que lui ! "Et je pourrais t'en raconter d'autres !
- Tu devrais jouer au loto !
- Non, répond-il gravement. Quand j'avais dix ans, j'ai gagné le gros lot à une tombola, un beau VTT, j'ai eu l'impression de l'avoir volé... Ma chance me donne assez de bonheur comme ça.
- Eh bien je suis content pour toi !
- Je sais ça paraît injuste, j'ai beaucoup de chance, c'est le cas de le dire.
- Je ne sais pas si j'ai eu de la chance ou non depuis que je suis né. Il ne m'est pas arrivé grand chose en fait..."
Je pensais aussi que la confiance en soi joue souvent plus que la chance. Et il n'en manquait pas. Une partie de cette confiance venait de la bonne tournure systématique des événements petits ou grands dans sa vie, mais il en avait déjà à l'origine.

Nous nous sommes revus une ou deux fois ensuite avant l'accident.