Indic... Fait-il encore du transport du shit ? En quoi consiste ce travail ? Pour qui travaille-t-il ? A-t-il donné son patron aussi ? Je pourrais lui poser une tonne de questions... mais je suis fatigué. "Et si on dormait ?"

Sur la couchette, nous nous serrons. Je ne le protège pas - je saurais bien incapable - mais je suis avec lui, je ne le laisse pas seul. Petite balance ? Je m'en balance.

Le silence de la nuit nous enfonce dans notre solitude au milieu du grand hangar, de la zone, loin de la ville... Nous nous endormons.

Le matin. Il nous fait du café.
"Il faut que je parte, que je disparaisse, dit-il.
- Où tu vas aller ?
- Je ne sais pas. Je vais faire de l'auto-stop et je verrai bien...
- J'allais faire de l'auto-stop quand je t'ai rencontré.
- Pourquoi ? ...Au fait, je t'ai raconté ma vie mais je sais rien sur toi.
- Il n'y avait plus de trains, à cause de la tempête. Je travaille ici mais j'habite à L.
- Tu fais quoi dans la vie ?
- Rien de passionnant. Je bosse pour une mutuelle. D'ailleurs, je dois normalement y être dans une demi-heure..."

J'ai envie de le suivre, n'importe où mais ... Pourquoi il y a-t-il toujours des "mais" ? Je voudrais rester avec lui mais... Il n'y a pas grand chose qui me retient ici mais... Mais ce serait une folie de tout plaquer pour une échappée pas forcément belle avec un drôle de zigue ... La Raison l'emporte : je lui dis : "bonne chance" à la sortie du hangar, et nos chemins se séparent. Il va raser les murs jusqu'à la voie express, je retourne vers la ville pour bosser, pas très frais, et avec dans l'estomac les germes du regret...

Je marche dans la rue. C'est le début de l'été. Les fumeurs ne sont plus seuls en terrasse des cafés. Quand je vois un fumeur, je regarde parfois sa cigarette, depuis ma nuit avec Juan. C'était il y a trois ans maintenant.
Je n'ai jamais retrouvé dans la bouche d'un homme ou d'une femme la sorte de cigarette qu'il m'avait demandé d'allumer... Et voilà que j'en retrouve à mon arrêt de bus habituel, sur le sol, mégots écrasés, pas de doute, ce sont les mêmes. Et si Juan était revenu ? Peut-être vais-je le retrouver un jour dans la rue, dans un bus...