La zone est déserte. La nuit, suspendue au-dessus du ciel, s'apprête à tomber. Tous les trains sont bloqués à cause de la mini-tempête qui est passée sur la région dans la journée. Je me dirige à pied vers la voie-express, pour y faire de l'auto-stop et rentrer chez moi. Sur la zone d'entrepôts et de magasins divers, c'est le calme après la tempête. Il n'y a pas un chat.

Je ne suis pas sûr de connaître le chemin. A un carrefour, je tourne à droite. Un autocar passe juste derrière moi quand je traverse la route. Quelle ligne dessert-il ? Je pourrais peut-être le prendre. Non, il est arrivé à son terminus, le dernier passager descend : je le vois par les vitres passer entre les sièges puis sortir par la porte de devant. En longeant l'autocar, il disparaît un instant avant de réapparaître : il traverse, vient vers moi...

Il me frôle sur le trottoir. Je le rattrape, le dépasse, me mets sur son passage pour l'arrêter. Il essaye de me contourner, je l'en empêche, le bloque contre le mur de l'entrepôt qui borde la route.

Je n'ai jamais fait ce genre de choses, aborder comme cela un inconnu. Un jeune type à la peau mate, à peu près ma taille.

Il me dévisage, je ne peux soutenir son regard brillant comme celui d'un chat dans le soir. Je baisse le regard sur son jean pas très propre qui serre des jambes courtes mais musclées.

Il ne tremble pas mais je le sens nerveux, et je sens que je n'y suis pas pour rien. Comment pourrais-je lui faire peur avec mes soixante kilos et mon regard fuyant ? Il voit bien que je suis inoffensif. Non, sa peur vient d'un autre danger, je le sens.

Il sort de la poche de son blouson vert ce que je prends pour un paquet de clopes, mais ce sont plutôt des mini-cigarillos, il en plante un dans sa bouche. "Tu me l'allumes ?" Il passe dans ma main un briquet en métal... C'est lui qui baisse ma main et le briquet, lorsque le cigarillo est allumé. Moi, j'aurais continué, submergé par des émotions diverses.

Il m'attrape le poignet : "allons chez moi". De toute façon, je n'aurais pas pu le laisser, même si je sais que, face à la plupart des dangers, je ne lui saurai d'aucune aide.