Ma chemise, un coup de peigne, un café, deux sucres, mes ongles il faut que je les coupe, les poissons dans l'eau, la pollution dans l'air, le bourdonnement des machines, voir, sentir, toucher, etc, ça ne fait pas de moi un humain, je le sais...
Cela fait longtemps que je n'ai pas vu un être humain. L'espèce est en voie de disparition dans cette ville...
Pendant des siècles, des milliers d'habitants de cette ville industrielle ont vécu et travaillé ici. Un jour, on n'eut plus besoin d'industries, et pour le reste, on n'a plus eu besoin ensuite des gens. A part quelques types comme moi pour s'occuper des machines. Moi, je travaille dans de vastes entrepôts de stockage et je dirige une équipe d'un millier de robots.

La nuit, la cité ne dort plus. Quand je les retrouve le matin, je me sens différent d'eux, à cause de mes quelques heures de sommeil. Les machines ne dorment pas. Elles travaillent en continu, sans rechigner, sans traîner des pieds, sans contester les ordres. C'est ce qui rend mon travail de manager assez simple. Certaines machines sont dotées d'une intelligence "humaine". Pour communiquer avec elles, nul besoin de parler le langage des machines, elles comprennent et parlent la langue des hommes (ou plutôt toutes les langues). Je converse avec elles comme avec mes anciens collègues humains, à la différence près qu'elles connaissent tous les arts, toutes les sciences, tout ce qui s'est passé, se passe et se passera dans le monde et au delà... Mais bien que j'apprécie de sentir que je m'améliore à leur contact, quelque chose me manque. Il y a quelque temps, les machines étaient imprévisibles, on pouvait toujours s'attendre à un bug. Mais à force de perfectionner leurs systèmes, elles sont devenues parfaitement "contrôlées". Au point que leurs concepteurs devraient inventer des imperfections pour les rendre un peu plus humaines ?

Aujourd'hui, je ne vais pas travailler. Je suis en congés pendant deux mois. C'est l'été aujourd'hui.
Je me sens comme Robinson sur son île. Sans la mer. Et sans Vendredi.
Il y a bien des gens ici mais où se cachent-ils ?
Sont-ils connectés corps et âme à un monde virtuel ?
Sont-ils plongés dans le cœur d'une énorme machine ?
Sont-ils ensevelis sous une tonne d'informations que crachent des ordinateurs plus petits qu'une main ?
Loin de la ville, je sais qu'ils sont nombreux...

Exode urbain. La ville n'offrant plus de travail, les hommes sont partis vers la mer, la campagne ou la montagne où le tourisme et les activités de loisirs se sont développé.
Si la plupart des bords de mer sont bétonnés, si la campagne est aussi polluée que la ville, si la montagne ne vaut guère mieux, au moins là-bas, il y a des gens.
Pour y aller, les moyens de transport ne manquent pas. Des anciennes lignes de chemins de fer ont même été remises en service. Par goût du vintage, ce sont d'anciens trains qui empruntent ces lignes à vitesse douce. Là-bas, on prend le temps de vivre, dit-on. Cela me fait un peu peur...