Sans savoir très bien ce que j'en attends et ce qui m'attends, je pars retrouver Etienne dans le sud, comme on dit par ici. Il habite une ville où je n'ai jamais mis les pieds. En descendant du train, je suis perdu, je me laisse diriger par l'application GPS qui me dit de prendre un bus, de descendre là, de marcher un peu, traverser une place... Place qui grouille de monde sous le soleil. On distingue facilement les touristes en shorts et chemisettes juste souillées par la sueur du jour, et les misérables modernes, tee-shirts déchirés, jupes sales, tennis troués, les enfants de tous âges se baignant à moitié nus dans la fontaine au centre.
Je me souviens avoir vu ce genre de scène en visitant une grande ville adolescent, les petits miséreux cherchaient au fond de l'eau les pièces jetées par les touristes. Il n'y a plus de pièces, ils profitent juste de l'eau et du soleil pour se laver et laver leurs habits. Les touristes les regardent comme des animaux au zoo, ils leur jetteraient presque du pain.

"C'est partout pareil", dit un homme portant un costume blanc. Il le sait, il l'a vu ou lu sur les sites d'information. Moi, je ne sais pas. Dans ma ville, il n'y a pas de pauvres, il n'y a pas de riches, juste des techniciens qui vivent au milieu des machines selon une organisation harmonieuse.

"Bonjour monsieur... Bonjour !...". Pourquoi le jeune homme qui m'ouvre chez Étienne me dit deux fois bonjour comme s'il n'avait pas entendu mon bonjour ? "Mais je vous ai dit bonjour"...
- Ouais... Je n'ai pas entendu", répond-il sans conviction. Il me fait douter : est-ce que j'ai prononcé ce fichu bonjour, ou est-ce que je l'ai seulement pensé. On n'a pas encore inventé la télépathie, c'est dommage car je n'aime pas parler.
"Je cherche Étienne Legendre.
- Il n'est pas là. C'est pour quoi ?
- C'est personnel. Je ne l'ai pas revu depuis longtemps"
On entend alors une voix du fond de l'appartement : "Alex, c'est qui ?" Je reconnais la voix d'Etienne. Ma mémoire pour les voix est infaillible.

J'avale ma salive en entendant Étienne approcher. Qu'est-ce que je fais là ?

Il me reconnaît tout de suite. Il a du faire des recherches sur moi, des photos de moi doivent traîner sur un réseau ou un autre. On ne se tombe pas dans les bras, c'est plus lent, une tasse de café, quelques pas dehors jusqu'à un resto, une promenade en ville.
Il me raconte qu'il héberge le jeune homme qui m'a ouvert. Il n'est pas très commode, mais pour sa défense, il a un passé difficile. "Depuis mon accident, j'ai changé de vie. J'aide les gens. Viens avec moi cette nuit, je vais te montrer."