Je me réveille après quelques minutes de sommeil. J'ai loué une voiture. Je n'ai pas l'habitude de voyager en voiture, mais j'ai laissé sans problème le contrôle de la vitesse, des freinages, des distances de sécurité à une machine. S'endormir au volant n'est pas sans risques, je le sais : le mode pilotage automatique est fiable à 99%, il reste 1% de cas à gérer par le conducteur avec les commandes manuelles. Mais je n'ai dormi que quelques heures chez Étienne avant de prendre la route du sud, vers la mer, ma destination initiale.

Un message sur cette route. Pour résumer : je suis licencié. Remplacé par un nouveau logiciel. On n'a plus besoin de moi. Soit. Je ne ressens pas de colère. C'est dans la logique des choses. Mais que vais-je faire maintenant ?

Je quitte la route, je roule sur le sable d'un parking vide face à la mer.
Je descends sur la plage.
Je marche songeur.
Je n'étais pas heureux de toute façon. A force de côtoyer les robots, j'en devenais un. Gestes mécaniques, pensée automatique, sentiments annihilés. Le bonheur de l'homme est ailleurs...
Mes réflexions sont stoppées nettes par la collision avec une bâche en plastique tendue entre deux piquets. Je manque de démolir une cabane de fortune sur la plage. A l'intérieur quelqu'un, qui en sort. C'est un joli garçon qui apparaît. Je m'empresse de m'excuser, non sans bafouiller, troublé par son charme. Il ne m'en veut pas trop, car il m'invite à visiter "sa modeste demeure".
Il vit au bord de la plage et dans les dunes avec une bande de jeunes depuis le début de l'été. Un matelas pneumatique, une couverture, une bassine pour la toilette, des boîtes de conserves, quelques frusques séchant sur une ficelle.
Il regarde d'un drôle d'air le portable que j'ai à la main, il clignote, l'écran saturé de messages inutiles des différentes applis (température ambiante, humidité dans l'air, distance parcourue en marchant, hôtels dans le coin, etc).
Lui ses mains sont nues comme ses poignets, ses oreilles, ses yeux, les poches de son short semblent vides ; pour tout objet technologique, on trouve dans sa cahute un mini lecteur de musique sur deux caisses en bois.
Il doit faire partie de ces jeunes qui fuient la technologie.

Il s'appelle Yo-yo. Sur son avant-bras droit, un petit tatouage inachevé, un oiseau bleu, jaune et une couleur à déterminer.
"Tu aimes ?" Il me questionne sur la musique diffusée par son baladeur en montant le son. Je reconnais un chanteur qui a connu un petit succès il y a une vingtaine d'années avec des compositions délicates. Je ne sais pas ce qu'il est devenu.
"Tu aimes ?" demandé avec une voix gracile qui fait presque entendre "Tu m'aimes ?". Alors quand je réponds "oui", je rougis.

Quatre garçons surgissent, nous entourent. Torses nus, la peau brunie par le soleil. Je masque mon trouble par un ridicule : "Hello boys !" Une main frôle mes fesses. Geste volontaire ou non, j'oublie les années qui nous séparent, je me sens leur égal, échoué sur cette plage. Fin du voyage ? Je resterai bien un peu avec eux.