J'ai demandé à Tanguy : "emmène-moi de l'autre côté du miroir s'il te plait". Il a accepté.

Au début, ça fait bizarre de voir le monde à l'envers. Un peu comme aller en Angleterre : toutes les voitures à contre-sens. Le soleil se lève à l'ouest, la Terre tourne à l'envers. Je dois lire de droite à gauche les panneaux de direction qui ont changé de direction. Mais guidé par mon ami, il me faudra peu de temps pour m'y habituer, ne plus être un gaucher gauche, et viendra vite la déception : c'est un monde inversé mais à part ça, il n'y a rien de merveilleux, d'extraordinaire, de fantastique. Les trains ne volent pas, le quartier de la gare a toujours cet air triste.

"Regarde, l'horloge de la gare, la trotteuse...
- Oui le sens des aiguilles... Mais nous ne remontons pas le temps. Les aiguilles tournent à l'envers, mais c'est une simple symétrie du cadran, le cours du temps est le même. Les chiffres sont juste inversés.
- Tout se passe dans la tête (il tapote avec un doigt sa tempe droite ou gauche). Ne sens-tu pas l'effet de la traversée ?"

Quel effet ?
Parle-t-il du fait qu'il soit revenu un jour de l'autre côté du miroir avec les cheveux blancs. C'était quelle année déjà ? J'ai du mal à me souvenir. Me souvenir de ma rencontre avec Tanguy aussi, je sais qu'elle a bien eu lieu puisque nous sommes ensemble, mais des circonstances jusqu'au moindre geste m'échappent. Mais au lieu de m'angoisser, cela m'allège. Je ne sais pas si je suis hypermnésique, mais je me souviens de trop de choses. Ici, ma mémoire est en veille ; sans entraves, je suis dans l'instant présent et tourné vers l'instant suivant. Et donc des projets plutôt que des regrets.

"Restons un peu, veux-tu ?"