Retour sur mon retour. De l'envers du monde à un monde à l'envers comme une continuité. Après avoir acheté un pays, je reviens dans le mien perdu entre deux catastrophes. Je ne pourrais plus m'enfuir : j'ai perdu le pouvoir transmis par Tanguy ; je découvre que je ne peux plus traverser les miroirs ; et, en plus, les miroirs ne reflètent plus mon visage ni quoi que ce soit, les miroirs sont devenus pour moi noirs comme des carreaux d'ardoise...

Je retrouve Tanguy. Maintenant nous avons le même âge. Premiers cheveux gris, pas de quoi faire une insomnie, "nous nous couchons avant minuit, dans des draps chauds qu'on éparpille"

Les rêves, les jolis rêves. Des châteaux en Espagne, ou un simple château au bord de la mer, un dimanche ensoleillé, joueurs de tennis sous les pins dans le parc, les rires des filles et garçons, et dans le fond, un chant cristallin qui sort du château. Je m'approche : c'est un château ouvert aux quatre vents, plus personne n'y vit, à part les oiseaux, et chante avec eux un garçon sans âge, mais doit avoir entre quinze et trente ans ; a le regard bien clair, délavé semble-t-il par trop de larmes. Il me dit : "tu vois ces petits oiseaux, canaris, mandarins enfermés dans une cage, un petit pot de graines et une petite balançoire ? J'étais comme eux. Enfin non, moi j'étais libre de sortir et revenir, mais je ne bougeais pas. La cage était grande, j'étais riche, sans rien avoir mérité, héritier donc, mais je n'avais envie de rien. Pourquoi ? à quoi bon ? Trop de pièces, trop de portes dans cette cage, je me retranchais dans une chambre avec des rideaux épais pour ne plus voir ni le jour, ni la nuit... L'argent abondant est tout aussi difficile à partager que le manque d'argent - et les décès, les mariages et les divorces n'arrangent rien - ma famille ne cherchait donc pas à m'aider, au contraire, on me collait des étiquettes pour m'envoyer aux oubliettes psychiatriques, ou pire : médicaments qui traînent et lames de rasoir tombées du ciel... La petite voix parano dans ta tête qui se retourne contre toi, qui persifle avec les bons infirmiers... J'allais vraiment devenir fou. Mais hop, j'ai fait le mur et me voilà les pieds nus et des plumes dans les cheveux, mais tu ne les voix pas mes plumes, elles sont imaginaires, mais l'imagination, t'inquiète, c'est ce qui nous distingue des fous." Il me dit tout ça sans le savoir, il ne sait pas que je lis dans les pensées.

Avant les yeux des gens étaient pour moi (comme pour beaucoup) un miroir : chercher dans le regard de l'autre comment il me voit. Le miroir s'est obscurci et il faut un certain pouvoir (ou volonté) pour voir à travers le mur noir chaque âme derrière. Comme voir à travers la nuit, comme ce soir-là, où je suis resté à la fenêtre, fasciné par le silence et le lent déplacement de traînées de nuages cachant les étoiles, ignorant que d'un instant à l'autre la nuit s'illuminerait quand les nuages découvriraient la pleine lune... Et ensuite, le passage d'un avion de ligne, et plus, moins identifiables, ces points rouges clignotants qui traversaient le ciel...