Quel âge a-t-il maintenant ?
J'ai appris que son père était mort le mois dernier. ça m'a fait un choc.
Mon écriture est toujours automatique, ma pensée systématique.
La peur enveloppe le monde, plus personne ne veut aimer.
Aux dernières nouvelles, Tanguy travaillerait sur des plateformes pétrolières offshore. Il explore les grandes profondeurs pour que je puisse remplir mon réservoir un euro et des poussières le litre jusqu'à la dernière goutte. Il émerge très rarement, m'ont dit des amis. Le visage buriné des aventuriers, on ne sait plus quel âge lui donner. Je passe parfois devant son pied-à-terre. Il y a à la fenêtre des rideaux verts. Je sonne à l'interphone, une voix blanche me répond, on m'ouvre, je monte, je frappe à la porte, elle s'ouvre... Personne. Je fais le tour du deux-pièces, pas un chat, ni sa litière, ni son bol de lait. Je retrouve dans la penderie des vêtements que portait Tanguy il y a... J'ai toujours aimé entrer dans l'intimité des autres... Je furète un moment, je ronde en carré puis je quitte l'appartement...
Un mois plus tard, je monte dans un train inter-cités. A un arrêt, Tanguy monte dans mon wagon, vient s'asseoir en face de moi... Il me reconnaît. "Tiens, ça fait un bail." Puis il baisse la tête sur son smartphone qu'il ne quittera pas des yeux pendant le trajet d'un demi-heure. C'est vrai qu'il a le visage buriné. Les cheveux poivre et sel. J'essaye de ne pas trop le fixer, c'est assez gênant comme ça.
Le garçon qui voulait vieillir, hors du temps maintenant, un soir le revoir sur une banquette de TER, un autre soir retrouver son parfum dans une penderie...
Quelques années déjà... Un jeudi soir, je reviens du ciné, je passe avant de rentrer à la coloc' manger un bout au mac do. Alors que je commande à la borne, il entre avec des amis. Je me cache comme je peux... Je l'ai rencontré deux jours plus tôt, une soirée DVD avec mes colocataires... Je n'ose pas aller lui parler...

Je le cherche encore dans les miroirs. Il arrivait toujours par les yeux. J'étais beau dans son regard. En traversant le miroir, je l'ai perdu, il ne me connaissait plus quand je suis revenu de l'autre côté. J'ai vendu le monde et lui avec, il y a très longtemps. Je n'ai jamais perdu le contrôle, ce n'est pas vrai, j'étais juste son ami, on se parlait droit dans les yeux, mais mon regard fixe ne tremblait pas sous ses mains.

Quelques années plus tôt... Il traverse la rue, je le rattrape, l'attrape par la main. "Tanguy" Il se retourne. Je souris et secoue sa main. Je lui dis : "Je pensais que tu étais mort". "On se connaît". "Je te connais depuis des millions d'années. Et je sais ce qui va t'arriver, je l'ai rêvé" Il fronce les sourcils. "Mais j'ai seize ans" "Tu peux me croire ou non, je sais tout de toi." Il s'échappe, j'en aurais fait tout autant.